Cher Serge,
Depuis bien trop longtemps, cette souffrance physique qui vous empêche aujourd’hui de vous tenir devant vos plus fidèles admirateurs n’a cessé de vous attendrir. Elle n’a cessé de vous ramener plus proche des gens, de leurs singularités et même de leurs plus simples détails.
C’est d’ailleurs peut-être aussi la raison pour laquelle vous tirez votre révérence. N’a-t-on finalement pas atteint la plénitude dès lors qu’on fait preuve d’autant de sagesse à l’égard de l’autre? N’est-ce d’ailleurs pas là le sens de nos vies?
Un homme qui souffre est sans doute celui qui est le plus à même de comprendre les sacrifices, les douleurs mais aussi tous les signes distinctifs de l’amour. Et pourtant, comment vous exprimer aujourd’hui, au crépuscule d’une carrière très longue et éprouvante, et dont l’envie d’aimer est manifestement plus forte que jamais, notre surprise de voir apparaître au fil de vos ultimes créations musicales le nom de Roger Federer.
Une histoire d’admiration
Au premier regard, sa place dans le répertoire surprend par son caractère d’intrus. Puis, plus on avance dans l’album Aimer, plus on se trouve en mesure de comprendre vos choix.
Les hommes que vous aimez sont en réalité ceux que vous admirez. Ceux que vous respectez, puis à fortiori ceux à qui vous souhaitez ressembler. C’est une forme d’amour d’un tout autre genre que les autres, mais qui n’en reste pas moins des plus sincères. Pas étonnant, donc, qu’elle figure dans votre album au même titre que vos amours plus charnelles.
Vous en admirez aussi d’autres, pour leur talent: Michelangelo, Camus, les rois en Mésopotamie ou encore Victor Hugo. On croit aussi comprendre que vous aimez moins Sartre. Normal: vous n’aimez pas les salisseurs.
Le plus touchant dans cette histoire, c’est votre admiration pour Roger Federer, un homme que vous auriez aimé être. Ce grand seigneur pour qui vous avouiez arriver en retard à vos concerts pour regarder ses matches, et qui a pris sa retraite, lui aussi. Magnifique et étonnamment évidente, également, cette évocation des balles de tennis dans les arrangements musicaux de cette chanson qui fédère.
Un rassemblement d’amours
On sent ensuite, chez vous, un sentiment d’incomplétude personnelle qui sert de liaison entre les différents amours que vous témoignez aux différentes personnes qui ont fait votre vie.
Vous rassemblez ici l’amour maternel, l’amour filial, celui du cœur – votre femme qui chante affectueusement avec vous sur cet album d’adieux – et celui de l’intellect. La profondeur fait ici l’émotion et, dit ainsi, on n’aurait pas pu aller plus au fond des choses.
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On sent que cet album est le dernier car, au fond, vous ne cherchez plus à plaire à quiconque, sinon aux seules personnes qui partagent les vers de cette ultime poésie, votre ultime voyage. Merci pour tout cet élan de générosité, de résilience et d’humanisme emprunt dans vos arpèges. Merci pour votre grandeur d’esprit et d’âme. C’est donc ça, savoir manier le calame.
Ecrire à l’auteur: yves.dicristino@leregardlibre.com
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Image: © Matthieu Camille Colin / Wikimedia CC 4.0
Serge Lama
Aimer
Warner
14 titres
2022