Le Regard Libre N° 29 – Nicolas Jutzet
Le débat est émotionnel. Souvent idéologique. Ravivé par l’élection de Donald Trump et par le focus placé sur les «fake news», la question revient régulièrement: quelle place réservera l’évolution technologique à la presse? Dans la plupart des cas, ces inquiétudes liées à l’avenir de la presse sont rapidement suivies par une demande d’intervention accrue de l’Etat. Sous couvert de bonne volonté, d’intentions louables, ces injonctions cachent souvent un paternalisme regrettable. Toujours est-il que la branche est aux pieds du mur et qu’elle doit trouver des nouvelles solutions pour le franchir.
Anachronique, la situation actuelle est intenable
La science économique justifie l’intervention de l’Etat dans un secteur par l’existence d’un monopole naturel et/ou d’un bien public. Un monopole naturel peut exister en raison de la structure d’un marché. Par exemple, s’il permet des économies d’échelle croissantes (un produit supplémentaire coûte moins cher à produire que le précédent) ou s’il existe des barrières à l’entrée (impossible pour un concurrent d’ «entrer» dans le marché, ou alors juste dans une «niche»). Ces barrières peuvent être règlementaires, techniques ou encore géographiques.
Un marché qui présente de telles caractéristiques pourrait mener, sans intervention de l’Etat, à une consolidation de l’offre qui mettrait en péril la diversité pourtant nécessaire, prenons l’exemple des médias, à la formation d’une opinion. Ou plus généralement au bon déroulement des différents processus démocratiques. La réalité dans le secteur médiatique est résumée par Avenir Suisse dans un rapport: «A l’introduction de la radio et de la télévision, la transmission analogique, qui dominait, induisait un manque de fréquences disponibles, ce qui représentait une barrière technique à l’entrée du marché pour de nouveaux concurrents. Le nombre limité de chaînes a contraint de nombreux Etats à créer une institution publique dont la programmation devrait quasi obligatoirement être variée. Avec l’arrivée des technologies numériques, des réseaux câblés, du satellite et d’Internet, l’argument des fréquences rares a perdu de sa valeur». La diversité présente sur le marché de la presse écrite atteste par ailleurs que les citoyens de notre pays aiment avoir accès à diverses sources d’informations. Nulle trace d’un monopole naturel.
Le deuxième critère, le bien public, peut être résumé de la façon suivante: impossibilité d’empêcher un consommateur de consommer le produit/service en question (principe de non-exclusion). Mais également, si mon prochain consomme le service, il sera toujours disponible pour moi (par exemple le soleil).
Comme évoqué plus haut, l’argument tenait tant que la radio se diffusait de manière analogique. Tout le monde y avait accès à condition d’avoir un appareil de réception. Mais avec l’évolution technologique, il est devenu possible «d’exclure» des consommateurs par la tarification. C’est évidemment la même chose pour la télévision ou la presse écrite. Le deuxième critère est donc à rejeter également.
Pour une disparition de la redevance
L’avenir est à la convergence entre l’offre écrite, en ligne et en vidéo. C’est pour cela que la situation actuelle est intenable. Avec la redevance, nous faussons la concurrence en subventionnant massivement la SSR tout en limitant sa mission puisque nous restreignons son offre en ligne. Un non-sens absolu. En agissant de la sorte, nous empêchons la création d’un modèle capable de survivre dans le futur. En freinant la SSR en ligne par la législation, nous la condamnons à l’obsolescence. De l’autre côté, en accordant une rente indue via la redevance, nous coupons l’herbe sous le pied des éditeurs privés qui se voient dans l’incapacité de tenir tête à la concurrence sur le plan télévisuel.
Cela même, alors que la presse traditionnelle fait face à des revenus publicitaires en chute libre. L’évolution de ces dernières années voit la publicité se déplacer en ligne. Rien que l’année dernière, le volume des publicités a augmenté de 12% en ligne tout en reculant de 12% dans les journaux. Avec le développement du «replay», qui permet de passer outre les publicités, pareil sort semble réservé à la radio-télévision dans sa configuration actuelle. La situation est assurément alarmante. Répondre en renforçant les inepties d’ores et déjà existantes n’assurera pas la «cohésion nationale» ou la «survie de la démocratie» comme voudraient le faire croire, sur un ton inlassablement arrogant et paternaliste, les profiteurs du dispositif actuel, mais nous mène dans le mur.
L’idée n’est pas ici de prendre position pour ou contre la SSR, les éditeurs privés, etc., mais simplement de demander la libération d’un marché faussé. Nous devons donner la chance à chacun, à armes égales, de tenter d’identifier le «business model» qui lui permettra de réussir le tournant numérique. D’inventer le média de demain. Dans cette optique, le modèle de péréquation financière de la SSR, qui avantage les minorités linguistiques, pourrait être un argument de vente percutant dans un marché libre. De manière générale, il ne fait aucun doute qu’au vu de la reconnaissance de son travail, reflétée par différents rapports, elle saura se faire une place dans un marché libérer des effets pervers existants…
Prétendre d’un côté, chiffres à l’appui, que son offre rencontre l’approbation des citoyens et venir expliquer de l’autre que son existence serait impossible dans un marché libre n’est franchement pas crédible. D’autant plus qu’en libérant le marché, la SSR aura accès à la manne publicitaire, en progression, qui lui est actuellement refusée pour son offre en ligne.
Le débat devra avoir lieu, notamment dans le cadre de la votation «No-Billag»; il serait dommageable qu’il soit asphyxié par les déclarations émotionnelles de certains. Cette «Angstmacherei», factuellement inexplicable et finalement très populiste, cacherait-t-elle une vérité inavouable?
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