Ces dernières années, certains Etats comme le Maroc, la Turquie et surtout la Biélorussie ont organisé des migrations vers l’Union européenne pour la mettre sous pression. Toutefois, beaucoup de ces migrants, arrivés illégalement, finissent par y trouver du travail. L’immigration correspond donc à une logique économique: l’Europe a besoin de nouveaux arrivants. Voici pourquoi elle devrait mieux organiser l’immigration qui lui est nécessaire.
L’Europe a besoin de main-d’œuvre. Les chiffres d’Eurostat, le service statistique de l’Union européenne (UE), sont assez clairs. En 2018 et 2019, il y a eu plus de morts que de naissances dans l’UE. L’indicateur conjoncturel de fécondité y est de 1,56 enfant par femme, alors qu’il faudrait un chiffre de 2,05 pour garantir le renouvellement de la population. Pourtant, le nombre d’habitants a augmenté de 512,4 à 513,5 millions entre ces deux années, et ce, grâce à l’immigration. Autrement dit, et on le sait depuis longtemps, sans migrations vers l’Europe, la population du Vieux Continent diminuerait. Une perspective économiquement peu souhaitable.
Le cardinal africain Robert Sarah était invité au micro d’Europe 1 fin 2021. Interrogé sur la mort de 27 migrants dans la Manche en novembre de cette année, celui que le Pape François compte parmi ses proches, donc qui est a priori plutôt pro-immigration, et qui, en tant que ressortissant de Guinée-Conakry, voit les choses du point de vue d’un pays d’émigration, dénonçait une triple trahison:
«D’abord, on retire des jeunes d’Afrique, des intelligences, des forces vives, qui pourraient développer le pays. La deuxième trahison est qu’à ces jeunes, on présente l’Europe comme l’Eldorado. […] Et la troisième trahison est que l’on n’agit pas vigoureusement contre ces passeurs qui profitent de la naïveté des jeunes et qui les font succomber en pleine mer. Je pense qu’il faudrait lutter contre ce mal à la racine: présenter l’Europe comme elle est, les difficultés qu’elle connaît aussi, ne pas arracher ces jeunes de leur pays, où ils auraient pu être des éléments de développement. […] Je n’ai pas d’autres paroles que d’insister à ce que l’on aide l’Afrique à se développer sur place.»
La question de la lutte contre les passeurs est susceptible de faire l’unanimité. Il est évident que si l’Europe a besoin de migrants, elle aurait intérêt à mieux gérer leur arrivée, les besoins de l’Europe ne justifiant pas les mensonges des passeurs. «Accueil à l’aéroport et transport jusqu’à l’hôtel», voilà le message que les jeunes emmenés en Biélorussie avaient reçu sur Facebook. La réalité? Une bande de trois kilomètres dans une forêt glaciale entre les barbelés polonais et l’armée biélorusse, qui leur interdisait de revenir en arrière.
Malgré ce besoin avéré, les Européens continuent à être défiants à l’égard de l’immigration. Une étude de l’Université de Harvard reprise dans Quartz par Annalisa Merelli, «What Americans totally misunderstand about immigration, in one chart», montre que les Occidentaux surestiment systématiquement la proportion étrangère de leur population. En France, le 29% estimé correspond à un chiffre réel de 12%, en Allemagne le 30% à un 15%, en Angleterre le 32% à 14%, etc. Interrogés sur l’origine des migrants, les Européens tendent également à exagérer la proportion de personnes en provenance de régions «problématiques» à leurs yeux, telles que le Moyen-Orient ou l’Afrique.
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Quant à l’opinion plus générale du prélat, elle semble en définitive nous donner raison: si l’Afrique y perd, c’est que l’Europe peut y gagner. L’immigration est un phénomène naturel, qui devient une arme politique pour les adversaires de l’Europe. Cela, en grande partie parce qu’elle se montre incapable d’organiser elle-même les migrations, en raison de la défiance de sa population à l’égard des migrants. Comme souvent, quand on veut empêcher légalement la satisfaction d’un besoin réel, ce besoin finit par être assouvi illégalement.
Une défiance de la part des Européens
Reste que si la population est défiante envers les migrants, ou certains d’entre eux, il convient de réfléchir pourquoi. Des citoyens européens craignent que leur continent ou leur civilisation ne perde son identité. La raison en est que l’on confond souvent les personnes et les cultures: ce n’est pas parce que des personnes proviennent d’une autre culture qu’elles ne sont pas disposées à assimiler celle du pays d’accueil. Prenons l’exemple de l’Empire romain: au début de notre ère, l’empereur Auguste luttait déjà contre la démographie insuffisante de ses concitoyens et avait tenté d’amender les jeunes Romains qui n’avaient pas d’enfant avant l’âge de 23 ans. L’Empire, malgré un manque de naissances chronique, a pourtant su transmettre ses valeurs aux nombreux peuples qu’il a accueillis pendant plus de quatre siècles.
C’est la force de la culture qui fait sa survie, plus que le taux de fécondité de sa population souche. Mais qu’en est-il de la culture européenne, souvent embourbée aujourd’hui dans une attitude de déconstruction de son passé et de son essence? Sera-t-elle assez convaincante pour transmettre ses valeurs? C’est là le cœur de la question.
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Image d’en-tête: La situation à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne au 9 décembre 2020. © Flickr CC/Kancelaria Premiera