Les victoires d’un Trump ou d’un Milei placent les droites européennes à un carrefour idéologique. Précisément pour ne pas entériner son décrochage, notamment économique, il est urgent que le Vieux Continent puise plutôt dans son propre héritage intellectuel.
Nous avons en Europe l’habitude d’importer les tendances américaines, pour le meilleur comme pour le pire. Ces influences s’expriment de manière particulièrement flagrante sur le plan idéologique. Nous avons d’abord importé les lubies des courants identitaires de gauche issus des campus d’outre-Atlantique, qui ont rapidement infusé dans nos institutions et entreprises. Or, aujourd’hui, un mouvement inverse s’amorce sous l’influence du trumpisme. Les grandes firmes américaines, autrefois chantres de la diversité et de l’inclusion, investissent désormais les espaces médiatiques dominés par la droite dite «dure» et renient ces politiques progressistes qu’elles encensaient il y a peu.
Ce changement de paradigme demeure d’autant plus puissant que les pontes de la tech américaine l’alimentent généreusement. Le patron de X, Elon Musk, semble ainsi s’être fixé pour mission d’intervenir dans le débat politique européen en menant une croisade contre l’«agenda woke et mondialiste». Parallèlement, le slogan «Make Europe Great Again» ou la popularité grandissante du slogan «Afuera!» (littéralement: «dehors!», pour parler de postes publics à supprimer) du président argentin Javier Milei révèlent la perméabilité des discours populistes venus d’outre-Atlantique.
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Il y a fort à parier qu’au gré des échéances électorales, la tentation de s’inspirer de près ou de loin des stratégies victorieuses d’un Trump ou d’un Milei gagnera toujours plus une partie des droites, y compris traditionnelles, sur le continent européen. Ces chefs d’Etat s’étant autoproclamés avec succès comme les grands défenseurs de la liberté, pourquoi ne pas suivre les mêmes recettes ici? Pour tirer profit de cette vague, l’attrait sera fort de s’inscrire plus ou moins ouvertement dans le sillage de ce libéralisme caricatural, outrancier et à géométrie variable.
Des repères historiques européens
Bien que l’élection de ces dirigeants puisse servir d’impulsion pour mener des politiques plus ambitieuses et performantes, céder à ces sirènes populistes reviendrait à trahir un riche héritage politique et intellectuel européen: celui d’un libéralisme ancré dans la raison et le débat. Cette tradition, nourrie par des penseurs comme Alexis de Tocqueville, Karl Popper ou Raymond Aron, a toujours associé la liberté économique à la primauté de l’Etat de droit et au respect du dialogue civilisé.
Les défis technologiques ou commerciaux de notre continent sont immenses pour éviter un décrochage définitif face aux grands autres blocs. Cependant, singer les positions de Trump ou de Milei – rejet systématique des politiques environnementales, allergie à l’administration étatique, rhétorique grossière… – appauvrirait le libéralisme européen tant sur la forme que sur le fond. Nous avons de meilleurs modèles à convoquer. Ils se trouvent dans l’histoire de ce Vieux Continent davantage que dans le reste du monde contemporain.
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