Le Regard Libre N° spécial « Ecologie – Pour un revirement intégral » – Sébastien Oreiller
Chapitre III : Départ de la mère (suite et fin)
Revenu à pied depuis l’église, alors que le docteur l’avait dépassé en voiture, marchand à pas lents depuis la terre glacée de ses ancêtres, il prépara le café et le pain du soir, mit les frères et sœurs au lit et se coucha. Il faisait froid et il songea. Il songea à ce que serait sa vie future maintenant que la mère était morte, à ce que serait celle de ses enfants, et des enfants de ses enfants. Il vit les foins et les moissons, la vigne, et les tabourets de bois. Il sentit sur sa langue le goût du mauvais vin, il sentit l’odeur des corps sales, les sécrétions des bêtes dans l’étable, et celles des hommes dans un trou dehors, derrière la maison. Il vit la naissance des riches, et les suaires des pauvres. Il vit les fatigues des vieux et les ânes qui se crèvent à porter le poids des fagots, il vit les dos de ses enfants lorsque l’âge les aurait saisis eux aussi, courbés et douloureux, et les chaussures cloutées, et il détourna son regard vers la plaine. Le fleuve fumait sous la chaleur et se mêlait à la vapeur du train qui fendait le sol brun et indigent comme un éclair, brillant et insaisissable.