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Flâneries et pensées d’un promeneur solitaire en temps de crise sanitaire8 minutes de lecture

par Arthur Billerey
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Les bouquins du mardi – Arthur Billerey

Jon Ferguson, l’écrivain morgiens aux nombreuses casquettes (basketteur, philosophe, golfeur, etc.), publie un nouvel essai sur l’année 2020.

Une grappe de pensées

Le journal du coronavirus s’écrit encore et il n’a pas fini de faire écrire. Peu après son Journal du Corona publié en Suisse, l’écrivain Jon Ferguson publie en France «2020» Réflexions. Philosophe actif, il relance dans cet essai plusieurs questions à ses lecteurs qu’il s’est lui-même posées en amont et au jour le jour durant l’année 2020. Si le livre part nécessairement de la crise sanitaire actuelle, liée au Covid-19, l’auteur arrive à s’en défaire et à s’en détacher librement par une floraison de ses réflexions quotidiennes qui, chaque jour, s’ouvrent un peu plus. Il réussit à aborder plusieurs thèmes nuancés comme l’amitié avec le passage «A quoi servent les amis», la mort avec le passage «Le sentiment de la mort» ou encore le blâme en société avec le passage «Nous aimons blâmer».

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Si la démarche de l’auteur semblait partir nécessairement du coronavirus comme terreau de réflexion, on pourrait dire que comme chez le pommier ou le poirier, le bouton de chaque passage de ce livre renferme une inflorescence latérale, à l’image d’une grappe de fleurs où chaque fleur est une pensée qui possède sa propre raison d’être ainsi que son propre rythme de croissance. Dans ce passage par exemple, Jon Ferguson s’évertue à décrire le plus simplement du monde, c’est-à-dire dans une simplicité criante et dénonciatrice, la crise sanitaire actuelle pour en montrer tout l’aspect inédit et la place exceptionnelle qu’elle a prise dans sa vie d’homme:

«Je suis en vie depuis 1949. Comme beaucoup d’entre nous, je n’ai jamais vécu une année telle que 2020. Depuis près de dix mois, nous sommes à la merci de cette canaille de virus. On ne se touche pas. On ne s’approche pas. On couvre nos visages. On reste à la maison. Les théâtres, magasins, cinémas, salles de sport, églises, écoles, bordels, bars et restaurants ont tous été fermés pendant de longues périodes. Les compagnies aériennes et l’industrie du voyage ont été mises à genoux. Les gouvernements nous disent jusqu’où on peut aller et le nombre de personnes pouvant se trouver dans la même pièce.»

Témoin du constant et de l’accidentel

Par moments, une réflexion est développée à partir du titre des brochures de journaux qui portent sur la crise sanitaire et qui ont paru le même jour dans la presse que la rédaction du passage. Il y a par exemple le gros de titre de La Tribune de Genève: «Etats-Unis, 1015 morts en 24 heures.» Et si la reprise des gros titres par Jon Ferguson fait de lui un témoin du régulier, du constant, de l’évolution de la crise chaque jour, cela ne l’empêche pas pour autant de se faire aussi témoin de l’accidentel et de décrire un accident qui lui est arrivé, comme par exemple ce promeneur agité qui a failli le renverser lors d’une ballade. Cet incident devient alors à son tour sujet à réflexion sur le fait d’être ou de ne pas être en société une bonne personne, ou alors il questionne chez l’auteur les relations et les rapports du principe de causalité. On pourrait presque dire par moments que le livre se transforme, en paraphrasant Rousseau, non pas en rêveries, mais en flâneries du promeneur solitaire en temps de crise sanitaire:

«En terminant ma flânerie, je me suis dit que la meilleure définition d’une ”bonne” personne n’est peut-être pas de celle qui veut changer le monde, mais simplement de celle qui se veut être civile, agréable, respectueuse des autres et qui ne rend pas la vie pire qu’elle ne l’est déjà. Peut-être qu’une bonne personne et un bon chien sont à peu près une seule et même chose. Lorsqu’ils se promènent, ils sont courtois et ne créent pas de nuisances. Ils ne découvriront pas le sens de la vie ou les secrets de l’univers, mais ils ne mordent personne et ne chient pas non plus sur le trottoir. Il y a probablement plus de mauvaises personnes que de mauvais chiens dans le monde.»

Jon Ferguson dans «Trousp», une chaîne YouTube dédiée à la littérature et créée par notre rédacteur Arthur Billerey.

De l’ouverture sur le monde

Si le livre est un genre d’essai-journal où Jon Ferguson, de façon singulière, aborde le monde à travers le prisme épais du grand désordre lié à la crise sanitaire, on pourrait croire que le lecteur est confronté dans chacun de ces passages à des pensées intimistes et peut-être cloisonnées. Il n’en est rien. L’habileté dans la structuration des propos est de partir du particulier pour tendre vers le collectif. Au niveau géographique, cela concerne à la fois la Suisse comme les Etats-Unis et le reste du monde. Au niveau temporel, cela fait voyager le lecteur en le faisant partir du présent pour mieux revenir quelques années en arrière, ou se projeter dans le futur après la crise sanitaire actuelle, comme dans le passage «La vie post-corona» qui possède une liste des choses qui se dérouleront après la crise sanitaire, au niveau politique, économique ou encore de la gestion des déchets en plein Paris.

Bien que Jon Ferguson fasse volontairement le choix de résumer à l’emporte-pièce certains concepts philosophiques, taillant en trois lignes par exemple la philosophie de Heidegger, il n’hésite pas aussi à développer originalement des idées sur sa vie de tous les jours, comme c’est le cas avec ses lapins, qu’il observe quotidiennement. Ceux-ci le mèneront à évoquer, un passage plus loin, sa rencontre avec la philosophie de Kierkegaard faisant définitivement de ce livre portant sur la crise sanitaire et ses dommages collatéraux une sorte d’ovni ou de publication comète dans le genre de l’essai et du journal que l’on peut lire sans avoir peur de s’ennuyer, d’endurer des redites funèbres ou de se croire subitement atteint du coronavirus pour les lecteurs les plus hypocondriaques.

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«Quand je regarde les lapins, le confinement prend une autre dimension. Ils vivent dans une cage sur la terrasse. L’une d’entre elles, Mini-Wally, est seule à l’étage parce que c’était une nouvelle venue et qu’elle ne pouvait pas s’entendre avec Little-Wally, également une femelle. Elles s’attaquaient violemment l’une et l’autre à chaque fois que nous essayions de les réunir. […] Quand je regarde les lapins dans leur cage, j’ai tendance à penser qu’ils doivent être malheureux. Puis je me souviens du passage de Kierkegaard et je suis tout à fait conscient qu’ils peuvent être des lapins bienheureux.»

Trois questions à David Poirson, éditeur des éditions Dashbook:

Le Regard Libre: Pourquoi avez-vous publié ce livre en particulier, plutôt qu’un autre, parmi les nombreux manuscrits portant sur la crise sanitaire actuelle et ses effets?

David Poirson: Le livre de Jon Ferguson nous a tout de suite plu en raison de son scepticisme intelligent et rafraîchissant. L’auteur sort vraiment des sentiers battus et nous invite à oublier le cadre des idées prémâchées qui guident notre vie et sont des opinions toutes faites. Il prône une distanciation intellectuelle (et non sociale) salvatrice dans notre époque dominée par l’angoisse.

Est-ce un livre politique de ce point de vue?

Plus que politique, il est surtout philosophique. John Ferguson nous invite à réfléchir à ce qui fait notre condition d’être pensant et à apprécier chaque moment de la vie. Le livre n’est pas dénué d’humour non plus, état d’esprit qui implique toujours une mise à distance, une remise en cause de la pensée dominante.

Au début de ce livre, il est écrit une mention présentant votre maison d’édition: «Dashbook est une maison d’édition collaborative. Spécialistes de la publi-tech, nous utilisons la puissance du web pour mettre en contact auteurs et lecteurs. En favorisant cette rencontre, nous permettons à nos auteurs de trouver leur public et de vivre de leur passion.» En quoi favorisez-vous la rencontre entre le lecteur et l’auteur?

Comme toute maison d’édition, nous sélectionnons les manuscrits d’auteurs prometteurs mais nous les soumettons ensuite immédiatement au public sur le web. Nous assurons aussi leur promotion sur les réseaux sociaux. Le métier d’éditeur est de permettre la rencontre entre un auteur et ses lecteurs. Tout se fait traditionnellement en librairie (physique ou sur le web), modèle de distribution massif qui n’a quasiment pas changé depuis deux siècles. Nous croyons qu’Internet permet de trouver bien plus finement le lecteur qui sera passionné par nos auteurs, même si ce lecteur se trouve à l’autre bout du monde.

Ecrire à l’auteur: arthur.billerey@leregardlibre.com

Crédit photo: © Futura Sciences

Jon Ferguson
«2020» Réflexions
Traduit de l’américain par Valérie Debieux
Editions Dashbook
2021

112 pages

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