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«François, portrait d’un absent»: un prix Décembre d’amitié4 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Tour d’horizon de quelques grands prix littéraires – épisode #2

Le Regard Libre N° 48 – Loris S. Musumeci

«Ça arrive comme une vague.
Cette nuit-là, j’ai compris ce qu’était une voix blanche. La voix de Jérôme était blanche.
Maintenant, les souvenirs affluent. Ça arrive comme une vague.»

François est mort, emporté par une vague, avec sa fille Bahia. François faisait du cinéma et de la radio. François était un fou de l’existence. Il fumait, buvait; aimait la vie, le travail, la précision. Il était «beau et contradictoire». Dans un livre à la frontière entre l’essai, le témoignage, la poésie et le roman, Michaël Ferrier peint le récit d’une amitié. D’aventures en anecdotes, sourire aux lèvres et larme à l’œil, le portrait d’un absent fait irruption sur la page blanche pour offrir à celui qui n’est plus une présence dans la littérature.

François, portrait d’un absent semble être jailli des doigts de l’auteur sur son clavier d’ordinateur. On sent qu’il voulait parler de son ami défunt sans trop savoir comment s’y prendre. Il a donc tout naturellement livré quelques souvenirs, quelques pensées, quelques réflexions qui s’inscrivent sous le signe de la réussite. Parce que c’est bien écrit? Oui. Parce que c’est touchant? Oui. Parce que le récit individuel d’un écrivain, dont on se fiche a priori, et de son ami, dont on se fiche tout autant, atteint une portée universelle? Un grand oui.

En fait, l’exercice adopté par Michaël Ferrier n’est pas si simple que cela. Rédiger un hommage à un ami disparu peut certes faire du bien à celui qui écrit comme à l’entourage du mort, mais peut-il intéresser un lectorat plus large, alors même que rien de sensationnel n’y est raconté? Un témoignage honnête et thérapeutique ne fait pas forcément un bon livre. Sans doute l’auteur le savait-il. Et heureusement. Parce qu’il est parvenu à faire retentir les mots de son texte dans le cœur du lecteur grâce à son style à la fois exigeant et accessible, et parce qu’il est parvenu à l’intégrer à son histoire. Ce dernier n’est pas que témoin. Il est acteur; revoyant sa propre jeunesse, repensant ses propres morts, célébrant ses amis.

Le prix décerné à l’ouvrage est d’autant plus mérité que Michaël Ferrier réussit à nous emmener avec lui dans l’internat du lycée où il a connu François, comme il nous emmène aussi au Japon et dans les salles de cinéma. Parallèlement, mais intimement en lien avec le portrait de l’absent, il parle avec passion de cinéma, de littérature, de la radio et de son univers tout particulier. Comme il se permet aussi des remarques plutôt drôles sur des faits de société, malgré la gravité ambiante du livre. Notamment, lorsqu’il divague sur les barbes, telles qu’elles sont portées aujourd’hui.

«Il aurait été – un poil – agacé par les nouvelles barbes qui fleurissent ces jours-ci, les barbes à la mode des hipsters, carrées et fournies de telle manière qu’on les prendrait aisément de loin pour des ours, mais toutes calibrées sur un modèle identique, avec très peu de variantes, de nuances, de tonalités. Ou celles, désormais quasi obligatoires, des députés voulant devenir membres du gouvernement: barbes cyniques, barbes partisanes, poussant en quelques nuits au menton des carriéristes et qui leur donnent l’air de sous-chefs à leur bureau. Une barbe épaisse mais très disciplinée sied à la gravité de ce nouveau clergé, à la fois attribut du pouvoir et nouvelle figure de la respectabilité. Sans parler même des barbes des fanatiques, qui sont le revers de leur manque de virilité, de leur impuissance fondamentale. La barbe soit de tous ces barbus! Porter la barbe de manière digne semble devenu presque impensable aujourd’hui. François est très exigeant sur la sienne: il cultive sa barbe de trois jours avec un soin particulier. Comme il le dit lui-même: il est soigneusement mal rasé.»

D’autres passages du genre discutent alcool, chanvre, art, voyages, mort. Et amitié. Elle est le vrai sujet du livre. Grave et léger, François, portrait d’un absent n’est ni révolutionnaire ni un chef-d’œuvre. Il est tout simplement un très bon compagnon, dont l’élégance, la sobriété, la nostalgie, la tristesse et la gaieté nous accompagnent le temps d’un retour à ceux qui sont absents. Rendus présents par les souvenirs.

«François… Il sait sur moi des choses, je sais sur lui des choses. Nous sommes les deux seuls à savoir. C’est cela, l’amitié, ce savoir partagé, les autres ne savent pas, c’est le savoir des choses de la mort. Et moi, qui sera mon rédempteur? Un homme à tête de taureau? Ou un taureau à tête d’homme? Un jour, une vague m’emportera aussi et j’irai le rejoindre. Alors je deviendrai pour toujours incompréhensible aux autres, impénétrable aux autres. J’entrerai dans la zone interdite et, cette fois, je n’en reviendrai pas.»

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Michaël Ferrier
François, portrait d’un absent
Editions Gallimard
2018
234 pages


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