Les lundis de l’actualité – Diego Taboada
Une nouvelle loi sur le rôle de la Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale fait polémique. Elle est représentative d’une tendance dans certains pays au sein de l’UE qui défendent la « démocratie illibérale » comme modèle alternatif. Alors que le danger pour la démocratie est réel, l’Union européenne peine à se faire entendre.
Une autre limite a été franchie. Le parlement polonais a adopté la semaine dernière une loi remettant en question le rôle de la Pologne dans l’Holocauste durant la Seconde Guerre mondiale. Attribuer les crimes commis à l’Etat polonais sera désormais interdit par la loi. Pour le gouvernement, cette loi vise à défendre l’image du peuple polonais en évitant de l’associer aux camps d’extermination. Concrètement, le pouvoir politique se met à manipuler les faits historiques pour les rendre conformes à sa vision des choses. Une tentative de « révisionnisme light », en somme.
Cette mesure est le dernier volet d’une évolution inquiétante depuis l’arrivée du parti populiste et conservateur Droit et Justice en Pologne en 2015. Au début de l’année 2018, l’avortement permis dans certains cas de figure est rendu pratiquement impossible. De manière plus structurelle, des réformes judiciaires mises en place ces deux dernières années remettent en question l’indépendance de la justice et l’existence d’un Etat de droit en Pologne. Le pouvoir politique contrôle et décide de la nomination des magistrats qui sont désormais soumis à la majorité au pouvoir.
La « démocratie illibérale »
La Pologne, à l’instar de la Hongrie, était cependant considérée comme un modèle de démocratisation et d’occidentalisation après la chute de l’Union soviétique. Une transition exemplaire, qui se voit récompensée par l’adhésion à l’Union européenne en 2004 avec tous les bénéfices qui en découlent à cette époque. Malgré cela, ces pays expérimentent moins de dix ans après un retour en arrière drastique en matière de libertés civiles. Le projet plus ou moins assumé de construire une « démocratie illibérale », terme cher à Viktor Orban, premier ministre hongrois, est en marche.
La « démocratie illibérale » est un concept développé à la fin des années 1990 par le journaliste américain Fareed Zakaria et désigne un système politique « démocratique » – à savoir que des élections se tiennent régulièrement – mais où les élus ne sont pas limités dans l’exercice de leur pouvoir. Autoritarisme, faiblesse des contre-pouvoirs – par le contrôle des médias et le discrédit de toute forme d’opposition politique –, une concentration des pouvoirs, des libertés individuelles fortement limitées au nom de valeurs conservatrices. Un système de valeurs se hissant contre l’ouverture, culturelle ou économique, que défendent les démocraties libérales.
La tendance au refus systématique de l’Etat de droit garantissant la liberté des individus est de plus en plus répandue. Cette défense de régimes autoritaires « qui marchent » et d’un modèle alternatif possible au sein du Vieux-Continent est un danger pour l’Europe et les valeurs dont elle se porte garante.
Un défi pour l’Union européenne
Quelle a été la réponse de la Commission européenne face aux dérives de la Pologne ? Après des mois de mise en garde sans résultats, l’Article 7 du Traité de l’Union européenne, « arme ultime » invocable en cas de « risque clair de violation grave par un Etat membre » des valeurs de l’Union, a été déclenché à la fin de l’année 2017. Il ouvre ainsi la porte à la suspension de certains droits, comme celui de vote, du pays en question. Mais cette sanction n’en demeure pas moins symbolique car elle nécessite l’approbation de tous les Etats membres pour son application, et la Hongrie n’a pas caché sa sympathie et son soutien envers le gouvernement polonais.
Certaines voix défendent des mesures plus concrètes, comme le conditionnement de l’accès aux fonds de développement européens au respect des valeurs européennes. Cela sera-t-il suffisant à faire céder le gouvernement polonais ? Rien n’est moins sûr.
Quoi qu’il en soit, l’UE doit agir avec force et conviction dans ce dossier. Une sanction claire et contraignante, au risque de perdre toute crédibilité alors qu’elle vit des difficultés sans précédents.
A l’heure où des turbulences secouent l’Union, défendre ses valeurs est le meilleur moyen de résoudre la « crise existentielle » que subit l’Europe. L’Union européenne n’est pas seulement un projet de marché commun mais également celui de valeurs communes. Merkel, Macron, Juncker et consorts ont cette fois l’opportunité de prouver que l’idée communautaire n’est pas une chimère visant à déposséder les peuples de leur souveraineté. Il s’agit de faire preuve de courage et réaffirmer que la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’Homme ne sont pas négociables.
Ne rien faire par peur qu’une sanction trop forte découle sur une désintégration partielle de l’Union ou que certains pays se tournent vers la « Mère Patrie poutinienne » serait une erreur fatale qui viderait le projet européen de tout son sens. L’Union européenne sera démocratique et libérale, ou ne sera pas.
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Crédit photo : © Le Monde