Article inédit – David Glaser, journaliste radio à RTL et à la RTS
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Pour Noël, David Glaser, journaliste musical à la Radio Télévision Suisse, reporter à RTL, ancien d’Europe 1 et de France Inter, nous livre une longue discussion téléphonique avec Miossec, et un récit allant au plus profond de son art.
Au départ, je voulais vous raconter un conte de Noël disco dans le genre «Il est né le divin enfant», avec des musiques remixées des originaux qui font plez’ aux fans de Santa Claus. Je parle des Nat King Cole, Tony Bennett et autre Dino Martin, des voix, de la croon’ à fond les ballons en ces temps incertains, histoire de faire dans le dépaysement classique de fin d’année loin des manifs et des pillages, des Brexits et des naufrages d’immigrés, le regard tourné vers New York et sa féerie matérialiste – mais belle – de Noël, une histoire avec bons sentiments pour parler de l’amour dans le monde entre les peuples et les familles, afin de prier ensemble pour que 2019 efface enfin toutes les misères et transforme aussi les gilets en or… oh que tout cela est très beau et bienveillant. Mais finalement, non, je veux vous parler de boire et de baiser comme des mammifères finistériens qui s’étreignent ici-bas ici même comme en 1964… pour brûler des chansons ordinaires par les deux bouts et finir rescapés de l’autodafé musical.
J’ai cherché la bonne personne pour ce 101e morceau de Suississimo spécial Noël. Un homme pour raconter la musique qui me turlupine un peu trop en ce moment. Un chanteur pour lequel je voue une sincère admiration depuis plus de vingt ans. C’est donc un acte d’engagement et de partage que je signe de ma plume en bas de cette page. Et cette conversation revêt un caractère particulier, elle intervient juste avant sa venue en concert le 26 janvier aux Docks de Lausanne. Le personnage en question est Miossec, et après chaque échange avec le Brestois, j’ai cette impression d’avoir vécu quelques trucs sensass avec l’homme le plus marrant de la terre, le plus discret aussi. Un artiste plein, littéraire, spirituel et direct, un militant de gauche qui n’a pas arrêté de penser dans cette direction, mais sans se forcer; c’est sincère chez lui. Une bête de scène tout en nuances, proche des gens sans leur en foutre plein la tête avec son statut, un homme qui fête cinquante-quatre ans, de musique qui marque l’âme et d’écrits bouleversants selon les moments de la vie qu’on a choisis pour s’en imprégner.
Enfin, Miossec, né quelques heures avant JC (autre maître-chanteur qui a un peu pêché) est un ex-punk rocker majeur pour ne pas s’endormir en 2019. On en a besoin vu que Bashung ou Rachid Taha ne sont plus là to represent! Le véritable petit artisan breton de la poésie musicale franche du collier, de la musique bouleversante sur accords mineurs, des confessions romantiques sur l’oreiller et donc pour les oreilles est un conteur de folles histoires d’habitants de villes provinciales («de petites préfectures») à peine émoustillés par les coucheries de leurs édiles, ou égayés par les demis de bière et les verres de whisky-coke servis trop chers dans les boîtes de nuit pour didjis «relous».
Dire des conneries à tous les spectateurs bretons du Tour de France avec un drapeau français sur le toit ouvrant de la voiture émettrice de France Inter lors de l’édition 2006 (départ de Rennes, arrivée à Lorient, passage par Mûr-de-Bretagne), ça on l’a fait ensemble. Le souvenir est encore vif dans mon esprit. Miossec retombait en enfance à l’occasion de cette étape bretonne vécue en intégralité de la tête au pied dix heures de suite, une plongée dans les souvenirs quand il regardait le Tour de France avec sa famille sur l’écran de télé familial ou sur les bords des routes du Penn-Ar-Bed. Le sportif qui a touché aux efforts collectifs UNSS ou de club, vivait ici une autre expérience de groupe, auprès d’équipes de coureurs bien sûr mais aussi une expérience médiatique, une vraie piqûre de plaisir d’être là, «pelotonné», le cul à l’arrière d’une moto de suiveur de France Inter et le sentiment d’être dans l’histoire du journal l’Equipe et du sport français.
En 2018, Les Rescapés sort dans les bacs. Nouvel album chargé d’émouvantes trouvailles orchestrales, habité d’une toute nouvelle urgence, face à l’écologie méprisée, face aux peuples qu’on abandonne au nom de l’argent, des relations humaines compliquées à peine soignées par des petites morts furtivement enterrées, la vie sentimentale, «celles qui mangent les couleuvres, celles qui mangent les pétales», toujours ici chroniquée avec envie et inspiration cette fois dans un album d’une élégance sombre et vive à la fois (voir mes commentaires et notes titre par titre plus loin). A l’écoute de cet opus, on retombe sur le Miossec brut de pomme à couteau, avec des textes purs et tranchants, un Miossec les poumons gorgés d’oxygène iodée par les embruns de la Mer d’Iroise, un Miossec conscient de sa responsabilité d’homme enraciné qui en a vu tomber des héros au champ de bataille des addictions et des conneries célestes.
Avec Mirabelle et Leander en «camarades rescapés»
On aime le «montage» de cet onzième album (le deuxième pour la maison de Bob Dylan et Jeff Buckley, la vénérable Columbia Records, plus japonaise que jamais; c’est une propriété du groupe Sony, faites gaffe de ne pas détourner de l’argent, la justice nippone est intraitable). La matrice instrumentale est signée par Miossec et ses «beatmakers organiques» Mirabelle Gilis et Leander Lyons. Les mots sont toujours aussi soigneusement ciselés par l’auteur sur le lit musical. En frénétique amateur de Henri Calet et Raymond Carver, des artistes de la métaphore et de l’ellipse, il travaille toujours à sculpter les palabres sans gras et le plus près possible de l’os.
Aussi Les Rescapés représente une parfaite bande-son pour votre réveillon-révolution anti-système, un chant des partisans de la décroissance et de la responsabilité face aux Macronistes hardcore et aux Wauquieziens de tous poils, qui semblent oublier l’écologie et les valeurs de solidarité. A peine ragaillardi par la promesse de versement d’une prime de fin d’année, le peuple qui souffre devrait comprendre les propos des Rescapés. Le disque dresse un certain nombre de constats secs sur la société française de maintenant, et jette quelques regards lucides (parfois bienveillants) sur le monde, mais aussi sur la violence des échanges, la nature martyrisée, la morale piétinée, les désirs inassouvis de liberté. Miossec et ses partenaires ont réussi à toucher dans le mille avec une nouvelle patte, plus brute, plus mécanique, aidée de vieilles boîtes à rythme et de sons synthétiques rarement autant croisés dans les chansons du rocker défroqué depuis les premières collaborations avec Matthieu Ballet, musicien au sein de Oui-Oui dans les années quatre-vingt et nonante, puis producteur.
Dans un entretien peu classique, on parle de musique avec Miossec, mais aussi de la Suisse qu’il revient fouler avec Les Rescapés le 26 janvier prochain (déjà dit mais pas grave). Une terre qu’il connaît et apprécie pour y avoir croisé le fer avec quelques autochtones genevois (Polar et Bernard Trontin, le batteur des mythiques Young Gods). On parle d’artistes qui comptent et qui ont compté, des héros, des vieillots, des pointures, des personnages un peu ou beaucoup en rupture… voire morts. L’âme de Rachid Taha plane sur notre entretien. On aimait tous les deux beaucoup le Monsieur. Des commentaires sur des pistes musicales à base de vieilles machines pour compositeurs de tourneries synthétiques vintage surgissent dans l’échange de mots mais elles ne semblent clairement pas importantes, comme si Miossec avait toujours su et pu bifurquer sur une départementale pour aller récupérer les vieilles malles de l’enfance chargées de souvenirs nostalgiques sans avoir à se justifier.
Et parmi ces cargaisons de vieilles structures que ne renieraient en rien des musiciens inventeurs comme Jean-Jacques Perrey ou Pierre Henry, ce retour aux boîtes à rythmes est un hommage au passé quand avec le groupe Printemps Noir, ils essayaient de plaire et de croître au beau milieu des années quatre-vingt. C’était avec ce genre d’instruments qu’on composait à l’époque, c’était donc une référence pour les mythiques Marquis de Sade ou le duo génial Kas Product; «on avait d’ailleurs fait leur première partie à Brest», se rappelle amusé Miossec. La boîte à rythmes sale et envoûtante, j’ai alors la sensation d’avoir déjà vu ça chez d’autres artistes lors des mes quarante-deux années passées ici-bas, comme avec Stephan Eicher dans les années quatre-vingt (mon tout premier concert) à l’époque de Two People In A Room, ou avec David Bowie dans les années nonante avec Inside et Outside, voire avec Daniel Darc dans les années 2000, et maintenant avec Miossec.
Des noms qui claquent, un club des quatre, un Fab Four comme un hall of fame de poètes qui ont aimé les mots autant que la guitare, les machines autant que leurs effets sur les mots justement: la boucle est bouclée avec Les Rescapés. Hommage aux disparus Bowie et Darc, respect au Bernois Eicher. Rien de mieux que d’avoir toujours une volonté de produire du son entêtant (La Ville Blanche et On meurt, deux morceaux gentiment découpés à la machine analogique), un son vacillant, un son du sac et du ressac, mais un son mélodieux, doux comme du humus sur une plaine d’Irlande. Une tempête organisée, une certaine idée de la fête un 24 décembre. Bon anniversaire Mioss’.
L’affaire des «gilets jaunes» qui a renversé la France est volontairement laissée de côté dans la conversation pour cette fois, la peur de prendre trop de place dans l’échange limité, comme si le décalage était trop grand avec l’endroit dans lequel j’ai pris place (bien mauvaise idée) pour passer l’appel, ce pub anglais de Genève peuplé en ce jeudi soir par de riches hommes affaires russes, oreilles vissés aux portables, le ventre débordant du jean, leurs poules de 185 centimètres pleines de blondeur à leurs côtés… L’appel se fait dans le brouhaha, les dames prennent la lumière, les hommes éructent leurs propos dans un concert de voix dissonant. Et comme ça parle fort, la communication avec le bureau de Columbia Records à Paris a beaucoup de mal à passer. Je décide donc de quitter le confort boisé de cette public house genevoise pour la rue, comme si on sortait de l’Elysée pour un rond-point du Conquet. Et on démarre l’échange par les dernières phrases (frasques) d’un personnage célèbre de la musique politique dissonante de France.
David Glaser: Tu sais que la France et un de ses plus hauts représentants ont fait l’actualité ici ces derniers temps… un Finistérien nommé Richard Ferrand a démoli le système politique suisse en quelques phrases du haut de son perchoir l’été dernier. Le président de l’Assemblée nationale semble ne pas croire dans la démocratie directe helvète. Tu as suivi?
Christophe Miossec: Oui, j’ai suivi tout ça. En même temps, on le connaît bien à Brest. Richard Ferrand, c’est le genre de type qui offre des bâtiments un peu surdimensionnés à sa femme, ici même à Brest. Ça a choqué tout le monde, c’était au début d’En Marche… Bref, on a été concernés avant la Suisse.
Qu’as-tu voulu dire avec Les Rescapés, avec son côté brut du fait de l’utilisation de certaines machines?
Dans les années quatre-vingt, on avait déjà utilisé des boîtes à rythmes avec Printemps Noir, mon tout premier groupe. Mon premier album Boire était aussi aidé d’une boîte à rythmes car nous n’avions pas de batteur. Enfin, l’idée était plutôt de faire un disque qu’on aime jouer, d’avoir cette liberté de transposer facilement le tout sur scène.
Il faudrait que tu fasses changer les musiques d’attente de Columbia, c’est moyen ce qu’ils passent dans les téléphones. Comment ça se passe avec ce grand label mythique?
Oh très bien, je suis tout petit chez Columbia. Du coup, les attentes ne sont pas les mêmes que chez PIAS (ndlr: label franco-belge implanté aussi au Royaume-Uni) avec qui j’ai fait neuf albums. Là-bas, j’étais un gros poisson, il y avait de l’attente et du stress. Il leur fallait absolument des singles. Columbia, c’est donc vraiment plus tranquille. Ils ne sont pas inquiets, ils me laissent faire la musique que je souhaite. Côté promo, on a le soutien d’une radio surtout, France Inter, et heureusement qu’ils sont là car sans eux, je ne sais pas dans quel média national je serais diffusé.
Je viens de voir ton album à la Fnac de Lausanne, et des singles, il y en a. La maison de disques a mis cinq titres de chansons sur le sticker promo France Inter collé sur le CD. On voit là le hitmaker que tu es (rires). En plus, les titres sont courts, ça rentre parfaitement sur l’autocollant.
C’est pour ça que je les ai faits courts, pour que ça rentre (rires). C’est sûr qu’avec les Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement, ça aurait été un peu plus dur de tout faire tout rentrer.
Plus sérieusement, tu suis ce qui se passe stratégiquement avec les CD qui se vendent moins… les disques vinyles qui refleurissent. La pochette d’un 33 tours, pardon d’un 180 grammes, ça a du style, non?
Oui, l’explosion du vinyle, c’est dingue. On a apporté, du fait qu’il y a ce retour du vinyle, un plus grand soin au artwork avec cette sérigraphie pour la pochette, ce travail graphique et d’impression fait à la main. Dans l’ensemble, l’album a ce côté «fait-main», les instruments synthétiques sont utilisés à l’ancienne, dans un rapport à la musique qui ne prend pas forcément uniquement en compte cette idée de boucle comme on le fait depuis vingt-cinq ans dans l’électro. Avec tous ces groupes qui utilisent la machine, les musiciens disparaissent aujourd’hui. Ce que je constate, c’est que tout le monde amène son ordinateur sur scène ou en studio. Ce n’est pas mon cas.
En grand amateur de sport et d’exploits humains, venant d’une famille de sportifs, tu suis un peu les événements nationaux. La France a gagné la coupe du Monde de foot, la coupe d’Europe de hand avec l’équipe féminine, ça t’a fait quoi?
Franchement, c’est moins important. Je suis ça de loin en loin. J’ai bien aimé voir la Belgique gagner, en fait (Miossec rigole car il a vécu de nombreuses années en Belgique et y a enregistré plusieurs albums). Mais c’est vrai que je suis assez heureux de voir les JO débarquer à Paris, ça va permettre d’aménager de nouveaux espaces pour faire du kayak sur les canaux et d’autres plans d’eau, à la Villette par exemple. Aujourd’hui, j’ai la mer pour moi, j’habite en Bretagne juste en face de l’océan.
Sur Les Rescapés, on entend la voix de Jeanne Added, chanteuse française venue du théâtre et du jazz, aujourd’hui respectée pour une carrière en pop indé à forte tendance synthétique. Comment s’est passée votre rencontre?
Jeanne Added, j’adore sa musique. Je l’ai vue il y a huit ans dans un club à Paris. Elle y faisait la première partie de la première partie d’un groupe, seule à la basse, et j’étais impressionné. Je suis allé la voir après ce concert. Elle écoutait mes albums avant de se lancer. Je pense que ce que fait Jeanne lui va très bien aujourd’hui. Chanter en français lui va bien aussi, c’est pour ça qu’elle est venue faire des voix sur l’album.
Jeanne Added avait joué avec Rachid Taha. Toi-même, je pense que tu devais travailler avec lui. Il est mort en septembre dernier. Un autre frère de la musique qui s’en va après celui que tu as servi pour plusieurs albums avec des textes de chansons: Johnny. Comment vis-tu ces deux disparitions?
Oh bah, les grandes stars de la musique, c’est particulier… (silence un peu gêné). Johnny, c’est le bordel…
Le bordel?
Oui, comme toujours avec Johnny, c’est le bordel complet.
Et Rachid?
On était partis pour travailler chez lui et on n’a pas travaillé (rires). Il y avait notre ami commun Hakim Hamadouche… facile de se moquer de lui avec un nom pareil, hamadouche… hamadroite… C’est le joueur de oud avec qui Rachid était associé depuis longtemps. C’est toujours très drôle avec Rachid, c’est un homme qui a compris la musique, le rock et les traditions arabes, kabyles mieux que quiconque. Brian Eno ne s’y est pas trompé.
Et qu’en est-il de toi et tes racines?
Toujours pas de musiciens bretons autour de moi, mais je suis avant tout brestois. Je dois d’abord rendre fier ma mère et mon père qui sont brestois. La culture bretonne bretonnante n’entre pas en compte.
Le rap est un genre important pour toi?
Le rap, ça me va bien, ils se passent des choses enthousiasmantes… Beaucoup plus que dans les groupes de rock. Pour moi, Lomepal est une grande révélation. Il a des mélodies qui tuent. La Squale aussi. J’aime beaucoup, c’est le seul dans le rap français qui te parle de la guerre d’Algérie avec d’aussi bons textes.
Quels rapports entretiens-tu avec la Suisse?
Tout d’abord, Stephan Eicher, on a fait Disparaître ensemble sur l’album L’Envolée, on a travaillé chez lui en Camargue, c’était il y a cinq ou six ans. J’ai aussi joué avec Bernard Trontin des Young Gods et Polar. Une reprise de Ballade de Melody Nelson Nelson pour la compilation Pop Sessions. J’aime beaucoup les Young Gods. Ce groupe a été pionnier et ils m’ont donné l’envie de signer chez PIAS; ils y étaient avec L’Eau Rouge et T.V. Sky quand j’ai signé pour ce label.
Merci Christophe et bon anniversaire!
Dans notre édition papier de février en commande ici, les prolongations notées de David Glaser sur chacun des onze titres de l’album!
Ecrire à l’auteur: zieggla@gmail.com
Crédit photo: © Docks / Julien T Hamon
Miossec
Les Rescapés
Columbia/Sony Music Entertainment
2018
11 titres
34 minutes
Miossec sera en concert aux Docks de Lausanne le samedi 26 janvier avec Baptiste W. Hamon en première partie.