Article inédit – Ivan Garcia
Avec son dernier roman, Alain Blottière écrit l’histoire d’un adolescent qui découvre la poésie de Rimbaud, et voit ce dernier pendant ses crises de cécité. Véritable ode à la poésie dans un Paris aux airs de fin du monde, Azur noir présente un cas de conversion rimbaldienne original et mythique qui nous donne envie de lire de la poésie. Rimbaud revit… en version punk. Un ouvrage mystique et entraînant sur les traces d’une figure mythique de la littérature française.
A Montmartre, panthéon des poètes parisiens, Léo passe un été caniculaire dans son appartement situé au 14 rue Nicolet. Là où jadis vécurent et s’aimèrent Verlaine et Rimbaud. Du haut de ses dix-sept ans, Léo s’ennuie; il est resté seul à Paris, alors que sa mère et ses amis sont partis en vacances. Mais il se trouve vite embarqué, malgré lui, dans un étrange jeu. Victime de crises de cécité, Léo croit devenir aveugle. En même temps, pendant celles-ci, il a des visions. Il voit Rimbaud et Verlaine, ainsi que l’histoire qu’ils ont partagée.
Retour vers le passé
«Les raisons d’assombrir ou de ne rien voir ne manquaient pas, dont la principale: l’éblouissante certitude que tous les malheurs du monde ne pouvaient qu’empirer.»
Azur noir est construit sur cette alternance entre le présent et la cécité du protagoniste qui nous entraîne dans le Paris du XIXe siècle. Au fil du récit, Léo apprend à mieux connaître son immeuble et fait la connaissance de certains de ses voisins tels que Julie – avec qui il vivra une romance –, ou encore Monsieur Prinz – un rescapé de l’Holocauste qui lui donnera quelques leçons de vie, notamment en lui contant la légende du devin aveugle Tirésias. Entre ses consultations ophtalmologiques chez le docteur Lalumière – on apprécie l’ironie de l’auteur –, son voisinage et ses incursions dans le passé rimbaldien, le héros grandit. Peu à peu, il s’adonne à la poésie et s’émancipe des relations insatisfaisantes.
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Après Comment Baptiste est mort, lauréat du prix Décembre 2016, et Rêveurs (2012), l’auteur explore la manière dont un adolescent fricote avec la mort et parvient à exorciser ses peurs. Azur noir, fidèle à son titre, s’avère un roman sombre sur un monde qui se désagrège, à l’instar de la vue du héros. Le style déployé par l’auteur, simple et imagé, met en valeur son personnage, ainsi que la mythologie à l’œuvre au cœur de la figure de Rimbaud. Alain Blottière mêle habilement différents styles et typographies pour donner plus de vraisemblance à l’œuvre. De même qu’il décrit le portrait de Rimbaud, crayonné sur une façade de Montmartre. Encore visible aujourd’hui.
Conversion poétique
Fasciné par le fantôme du poète, Léo se lancera dans la lecture de l’ouvrage Arthur Rimbaud, Œuvre-vie, édité par Alain Borer «le roi des rimbaldiens», dont des extraits viennent entrecouper le récit. Mais à force de fréquenter «le diable des Ardennes», Léo se transforme en poète et en séducteur impitoyable. Comme symbole de sa conversion à sa nouvelle religion, la poésie rimbaldienne, le protagoniste se tatoue lui-même à l’encre rouge le mot «Rimb» sous l’œil droit. Un moyen de conjurer la peur et devenir «voyant» au milieu du chaos.
«Dans la glace de la salle de bains, Léo regarda ses yeux à la recherche de ce scintillement qui les rendrait invincibles. Mais celui qu’avait remarqué Printz, si c’était vrai, devait venir du soleil et ne paraissait pas à la lumière des lampes. […] Il venait d’enlever son pansement. Rimb n’était qu’une croûte noirâtre qui ne ressemblait à rien. Pourtant il ne voulait plus cacher cette balafre inquiétante qui lui semblait déjà faire un signe amical au diable indélicat, ce voyou des Ardennes qui exhibait fièrement sa crasse et ses poux, empuantissait la chambre de l’hôtel des Etrangers et multipliait des provocations à faire frémir jusqu’aux zutistes les plus débraillés.»
A la lecture d’Azur noir, le lecteur est fasciné par le courage que possède Alain Blottière de jouer ainsi avec son personnage et les textes poétiques. De même que de nous montrer qu’au fond, avant d’être une légende, Rimbaud était avant tout un homme, parfois aimable et souvent méprisable. De temps à autre, nous aurions souhaité que l’auteur aille plus loin dans la provocation et les interactions entre Rimbaud et Léo, mais après réflexion cela aurait peut-être rendu le récit indigeste. Que l’on soit un rimbaldien convaincu ou un néophyte en poésie, Azur noir se laisse lire et nous emmène à la rencontre de figures légendaires de la littérature française en nous montrant l’envers du décor.
Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com
Azur noir
Alain Blottière
Editions Gallimard
2020
60 pages