Bruno Dumont est revenu sur nos écrans avec rien de moins qu’une relecture du mythe Star Wars. Son film n’a pas manqué de diviser public et presse. A raison.
Dans un village de Normandie, les forces extraterrestres du Bien et du Mal s’affrontent pour la domination du monde. C’est sur ce simple postulat que le film développe son discours philosophique et son univers fascinant. Dans la continuité de Coincoin et les Z’Inhumains (2018), l’action se déroule essentiellement au milieu de paysages normands, dans un village de pêcheur, dont la rencontre avec la science-fiction crée un décalage toujours aussi original.
Le Bien, le Mal et l’Homme
Le parallèle à Star Wars ne se limite pas à des vaisseaux spatiaux et à des sabres laser. Il reprend aussi le mythe du combat entre le Bien et le Mal. Ce dernier, incarné par Belzébuth (Fabrice Luchini), confortablement installé dans un château de Versailles de l’espace, ambitionne de régner sur la Terre et les humains, perçus comme «nuls». Pour arriver à ses fins, il est servi par Jony (Brand Vlieghe), père d’un enfant, germe du Mal absolu, qui permettra au Mal d’instaurer son Empire. Pour faire face à ce danger, Jane (Anamaria Vartolomei), au service de la Reine (Camille Cottin), cherchera le moyen d’arrêter le Mal afin que le Bien règne sur la terre où les humains sont si «attachants». Pourtant, en prenant forme humaine, le Bien comme le Mal ressentiront alors le désir, qui les guidera hors de leurs voies absolues.
L’ambition de Bruno Dumont est de transmettre une idée: expliquer simplement de manière ludique des idées philosophiques ennuyeuses. Ici, il s’agit donc de nous montrer que le Bien et le Mal absolus ne sont finalement pas si différents, et que le désir détourne aisément nos principes moraux.
Pour cette démonstration, le film joue sur les oppositions, très nombreuses: Bien contre Mal, Homme contre Femme, Terre contre Espace. Il évoque même explicitement le code binaire en opposant 0 et 1, mais surtout, il traduit ces oppositions grâce à un cinéma à la fois naturaliste, avec ces régions rurales, ces acteurs non professionnels, et les codes du blockbuster avec ses vaisseaux spatiaux et ses effets numériques. Le mélange est souvent très plaisant à voir, et ces images de cathédrales de l’espace atterrissant sur des plages normandes donnent un résultat si incongru que le film offre son lot de moments inoubliables.
Une cathédrale aux fondations fragiles
Pourtant, malgré ce sens du spectacle et de la mise en scène, le film laisse un goût amer d’inachevé. Le spectacle se termine abruptement, les personnages disparaissent sans qu’ils aient droit à une conclusion, mais surtout, le discours sur l’humanité qui accompagnait tout le film se fait soudain silencieux. Cet inachevé se ressent d’autant plus quand on constate que l’être humain, au centre des discours, passe largement au second plan durant tout le film. Les réflexions et les regards sont ainsi constamment menés de l’extérieur, et si la démarche hérite largement des Lettres persanes de Montesquieu, elle n’en possède pas l’efficacité.
Le véritable problème de L’Empire, c’est que le film se rend prisonnier de sa propre démarche. En cherchant à être ludique, le sujet du film en devient simpliste. En cherchant à être efficace, il abandonne en grande partie l’humour qui avait été développé dans le cinéma de Bruno Dumont depuis Ma Loute (2016). En cherchant l’originalité, le film devient quelconque. En effet, quand on y regarde de près, le message qu’il porte est finalement le même que celui du modèle dont il s’inspire. Un combat entre le Bien et le Mal qui ne peuvent exister en tant qu’absolu tant qu’une part d’humanité s’y confond. C’est le symbole de la révolte de l’antagoniste le plus iconique du cinéma hollywoodien, et c’était il y a plus de quarante ans.
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Ainsi, la mission de transmission que le film revendique semble vaine. Son discours a déjà été porté sur écran. Mais surtout, dans une forme qui a eu beaucoup plus d’effet sur son public. Il reste donc à l’Empire un sens de la mise en scène toujours aussi efficace, un casting sympathique, une originalité indiscutable. Bruno Dumont arrive à produire de la fascination, qu’il s’agisse d’un plan de cathédrale traversant l’espace ou d’une simple barque remorquée hors de la mer.
Le film s’adresse malgré lui à un cercle d’initié, intéressé par l’image et sa portée, et rate sa cible de spectateurs plus grand public, comme en témoigne le gouffre abyssal entre les notes accordées au film par le public et celles que lui a attribuées la presse spécialisée. L’Empire est un film qui souhaiterait éduquer, mais nécessite de l’être déjà pour pouvoir l’apprécier.
Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com
Vous venez de lire une critique en libre accès publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°109). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!
Bruno Dumont
L’Empire
Avec Fabrice Luchini, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Lyna Khoudri et Brandon Vlieghe
Juillet 2024
111 minutes