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Films

Critique

Ingeborg Bachmann, le couple en friche4 minutes de lecture

par Quentin Perissinotto
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Vicky Krieps et Ronald Zehrfeld dans «Ingeborg Bachmann. D’un Désert l’Autre» (Margarethe von Trotta, 2024)

La réalisatrice octogénaire Margarethe von Trotta, figure du nouveau cinéma allemand, signe un biopic implacable et saisissant sur la relation entre deux autres protagonistes majeurs du monde des lettres germaniques du XXe siècle: Ingeborg Bachmann et Max Frisch.

Avec Ingeborg Bachmann – D’un désert l’autre, Margarethe von Trotta consacre à nouveau une œuvre à une grande dame, après ceux sur Rosa Luxemburg (1986) et Hannah Arendt (2012), elle qui fut l’une des pionnières du Frauenfilm (courant cinématographique féministe allemand des années 70-80). Dévoilé en 2023 à la Berlinale, le long-métrage relate la brève, mais dense, passion amoureuse entre la poétesse autrichienne et l’écrivain suisse. En alternant les époques et en faisant dialoguer les milieux, comme des miroirs brisés, le film procède par diffraction pour faire émerger une sensibilité à vif.

Une relation houleuse, instable, parsemée de piques

Après avoir rencontré Max Frisch (Ronald Zehrfeld) à Paris en 1958, Ingeborg Bachmann (Vicky Krieps) le rejoint quelques mois plus tard à Zurich, dans l’appartement qu’il occupe sur les rives du lac. Leur vie conjugale mâchurera bien vite leur idylle, eux comme deux fruits trop mûrs, se gâtant mutuellement jusqu’à la flétrissure. Une machine à écrire trop bruyante, des habitudes trop éloignées des siennes, un quotidien trop ataraxique, tout oppresse Ingeborg Bachmann, au point de lui voler son inspiration.

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Mais le film ne montre pas une Ingeborg Bachmann enfermée dans une condition, dans une domination, une emprise psychologique ou un schéma patriarcal usuel (bien qu’il y a toutefois des marqueurs de cela, agissant comme des rappels, par exemple lorsque Max Frisch lui reproche de ne pas l’avoir accueilli avec un repas digne de ce nom sur la table). Le long-métrage porte au contraire à l’écran la soif de fuite avortée de la protagoniste, il laisse voir sa recherche constante de vérité se fracasser contre les murs de la vie commune façonnés par des siècles de convenances.

Max Frisch n’est pas dépeint comme un tortionnaire, un pervers narcissique ou un ogre, mais plutôt comme une ombre olympienne, écrasant même la fatalité. Lui qui est d’ailleurs le seul homme avec qui elle a fait ménage commun.

Chercher le féminisme par-delà le machisme

L’angle féministe du film n’est donc pas d’imputer le mal-être relationnel d’Ingeborg Bachmann au machisme de Max Frisch, mais davantage de montrer ses idéaux d’indépendance voler en éclats, transpercés par les griffes acérées de l’habitus d’une société conservatrice. C’est que Ingeborg Bachmann cherche dans les relations la même chose que dans l’écriture poétique: un dialogue impossible. Elle veut pouvoir vivre toutes les vies imaginables, ne pas être prédestinée à quelque chose, ne pas être esclave de son destin. Jusqu’à convoyer cette utopie sur le sable du désert.

Pendant longtemps, d’ailleurs, on a rendu Max Frisch responsable de la mort d’Ingeborg Bachmann. Or, le millier de pages de leur correspondance publiée en 2022 démontre plutôt une relation envenimée par les deux, sans coupable majeur. Toutefois, il convient de préciser qu’au moment d’écrire son scénario, Margarethe von Trotta ne disposait pas encore de la correspondance entre les deux auteurs. Ce n’est donc nullement un film à charge contre Max Frisch, mais sur l’incapacité d’une époque à pouvoir faire du ménage du couple le territoire des aspirations féminines à la liberté.

Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com

Vous venez de lire une critique en libre accès, publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°110). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!

Margarethe von Trotta
Ingeborg Bachmann – D’un désert l’autre
Avec Vicky Krieps, Ronald Zehrfeld, Tobias Resch
Août 2024
111 minutes

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