Les mercredis du cinéma – Ivan Garcia
C’est à l’exploration d’une existence dans les Etats-Unis des années 80 et 90 que nous invite Sean Penn. Dans Flag Day, son dernier long-métrage, une jeune femme retrace les souvenirs qui l’unissent à son père, un individu au passé obscur, tout en suivant sa propre route. Un film qui invite à s’émanciper de l’enfance et à avancer, malgré les désillusions.
Aller au cinéma, c’est parfois se laisser tenter par des aventures, comme choisir un film sans vraiment savoir de quoi il sera question. Quelques fois, on est déçu; d’autres, on est surpris. Surtout lorsque l’objet de sa curiosité est labellisé «thriller»: à lire cela, on se dit que les rafales de balles et de sang ne sont pas loin. Heureusement, avec Flag Day,on a évité ces moments gênants et on a pu assister à une projection d’une rare finesse.
La fin de l’idéalisation
Flag Day est l’histoire de Jennifer Vogel (Dylan Penn), une jeune femme qui, dès les premières minutes du film, apprend de la bouche d’une enquêtrice que son «gentil» papa, John Vogel (Sean Penn), était en fait un faux-monnayeur (est-il vivant? est-il mort? Suspense). A partir de là, l’héroïne se remémore les instants passés avec son père, de son enfance à l’âge adulte en passant par une adolescence mouvementée : séparation des parents, visites de malfrats louches à domicile, prison…
Ce qui est marquant dans ce film, c’est la manière dont la relation père-fille est thématisée. Au fil de la projection, on constate comment Jennifer passe d’une admiration idoine (de petite fille) pour son père, symbolisée par la manière dont ils passent un après-midi dans les champs de maïs, à une sorte de considération plus banale de John. Du «prince charmant» qu’il incarnait lorsqu’elle était enfant, son père devient un mec comme les autres.
En réalité, tout le film est construit sur cette inversion des rapports entre le père et sa fille. Au cours de la première moitié du long-métrage, c’est l’enfant qui a besoin du père, qui cherche son attention (parfois au grand dam de la mère qui se noie dans l’alcoolisme). Tandis que dans la seconde moitié, la femme émancipée, désormais journaliste, ne rappelle jamais son père, malgré la cohorte de messages qu’il laisse sur son répondeur; elle ne souhaite plus autant passer du temps avec lui.
L’envers du rêve américain
On pourrait trouver Jennifer bien cruelle à l’égard de John. Qu’a-t-il fait pour qu’elle se comporte ainsi avec son père, qu’elle adorait naguère? Sur ce point, on en sait relativement peu: une scène, alors que Jennifer est enfant, montre son père en train de discuter avec des hommes barbus qui, après quelques paroles, le laissent avec une main en sang. John explique qu’il doit beaucoup d’argent à certaines personnes, n’aime pas les boulots d’ouvriers et essaie toutes les combines pour obtenir quelque pécule, même braquer une banque, s’il le faut! En outre, il se sépare vite de Patty, la mère de ses enfants, et lui laisse Jennifer et son frère, sans argent, pour s’en occuper. Malgré ses défauts apparents, John est souvent dépeint comme un grand aventurier, quelqu’un qui vit la vie à fond…
Aux Etats-Unis, le Flag Day est le jour de la Fête nationale, à savoir le 4 juillet. Curieuse coïncidence, ce jour-là est également l’anniversaire de John. On peut donc considérer cette coïncidence comme le revers du rêve américain, voire son côté obscur. Si l’idée véhiculée par cette croyance est que n’importe qui par son travail, son acharnement et sa motivation, peut réussir, alors le père de Jennifer représente ces dizaines de milliers de personnes qui, malgré leur persévérance, sont laissées sur le carreau de la prospérité, car motivés par des ambitions irréalisables ou des attentes trop élevées. John est travailleur et ingénieux, mais il se sert de ses facultés pour contourner les lois, actes qu’il finit par payer lourdement. En même temps, de l’aveu même du malfrat, il fait ce qu’il fait non pas mû par un intérêt égoïste, mais pour ses enfants, pour sa fille Jennifer en particulier. Le personnage est contrasté et il nous interpelle.
Au fil des flashbacks, Jennifer reconstruit sa trajectoire et se remémore comment, à force d’affronter les épreuves de la vie telles que la séparation de ses parents, la tentative de viol de son beau-père, son addiction à la drogue et autres, elle a grandi et s’est rendu compte que son père n’était pas forcément la personne qu’elle a idéalisée. Une séance ciné qui se conclut sur une belle leçon de maturité.
Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com
Crédits photos: © 2021 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc.