Les mercredis du cinéma – Jonas Follonier
Depuis quelques années maintenant, les cinémas s’essaient à retransmettre des concerts en direct – ou en différé. Ce nouveau phénomène répond à la nécessité évidente pour les salles obscures de se réinventer et de diversifier leur offre pour survivre. Survivre, c’était aussi l’histoire d’un homme dont on a beaucoup entendu parler ces dernières semaines, et à juste titre: Johnny Hallyday. Jeudi dernier 14 juin, la Suisse romande a retransmis sur ses grands écrans le concert donné par le chanteur à l’Olympia en 2000.
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Comme un ultime rendez-vous
Cette soirée fut l’occasion pour ses plus grands fans – et pour ceux qui l’appréciaient, tout simplement – de venir applaudir une dernière fois leur idole, décédée le 5 décembre 2017. Comme un ultime rendez-vous. Oui, le mot est juste car Johnny s’adressait personnellement à son public et un véritable échange avait lieu. Jeudi, peu importe que l’interprète de Que je t’aime fût absent de la salle et même de ce monde, les spectateurs applaudissaient à la fin des chansons. Ils brandissaient leurs bras en un fameux signe sur «Mourir d’amour enchaîné» de la chanson Gabrielle. Ils dansaient sur les moments plus rythmés du spectacle. Ils plongeaient dans les yeux du boss. Comme s’il était là.
Cette expérience a quelque chose de fascinant. Au fond, ce n’est pas Johnny qui est unique, mais la relation établie depuis des décennies entre lui et son public. De l’inédit à l’état pur. Johnny et son aura, on ne pourra jamais les comparer à quoi que ce soit d’autre. Pas même à Elvis, puisque Johnny le rockeur incarnait aussi l’autorité transcendante de la chanson française. Qui d’autre que lui pourrait faire pleurer des dames six mois après sa mort, dans la salle noire d’une petite ville de province helvétique, durant les quelque deux heures de concert?
L’un de ses meilleurs spectacles
Le spectacle «Olympia 2000» est indéniablement l’un des meilleurs de Johnny, pour qui a – environ – les 184 tournées du chanteur en tête. Cette année-là, la salle parisienne montre un artiste au plus proche de son public, dans une ambiance à la fois intimiste et intimidante. On est loin de ses shows à l’américaine les plus démesurés, mais on reste tout de même à l’échelle Johnny. Comme toujours, son entrée sur scène marque les esprits. L’interprète alors âgé de cinquante-sept ans, dont le visage, la voix et l’aisance se trouvent dans leur meilleure forme, descend sur scène par des échafaudages, entonnant un Je suis né dans la rue plus réussi que jamais.
La liste des titres qui s’enchaînent échappe à toute critique. L’alliance est parfaite entre les classiques – Fils de personne, L’envie – et les chansons plus méconnues – Cet homme que voilà, NashVille Blues –, entre les nouvelles créations – Un jour viendra, Pardon – et les anciennes – Qu’est-ce que tu croyais?, Je veux te graver dans ma vie –, entre les bombes – Le Feu, Rock’n’roll attitude – et les océans de douceur – Je te promets, Quelque chose de Tennessee. Rares sont les artistes qui peuvent proposer vingt-quatre morceaux d’époques différentes qui sont vingt-quatre chefs-d’œuvre. Fait suffisamment étrange pour être relevé, Allumer le feu est aux abonnés absents: il s’agit du seul spectacle où l’hymne populaire n’aura pas figuré depuis sa sortie en 1998.
Et il y a ces quelques moments qui font la spécificité de l’Olympia 2000. D’abord, l’excellente orchestration de la chanson Le Feu, avec un instrumental inédit où les cuivres tiennent de longues notes plaintives. Il y a aussi Cet homme que voilà, une perle plus belle que la version studio de 1978, qui témoigne à elle seule de toute la puissance de l’animal Johnny, quand il balance sur l’arrière de la scène le tabouret auquel il était adossé et incarne ces mots qui parlent à tout homme dévasté un jour par une femme:
Je connais ton programme
Je vois ton avenir
D’autres mains te réclament
Que tu vas faire souffrir
Tes jolis yeux sans âme
Me dégoûtent à vomirVa détruire le bonheur
Fais ton travail sur Terre
Va faire couler des pleurs
Va déclencher des guerres
Ton joli corps sans cœur
Va le vendre aux enchèresN’attends pas trop longtemps
Les rides n’attendent pas
Ce soir, je voudrais tant
Que ton dernier contrat
Que ton dernier client
Soit l’homme que voilà
Le travail remarquable du directeur artistique Yvan Cassar se mesure aussi aux arrangements de Qu’est-ce que tu croyais?, frôlant le funk rock, moment choisi d’ailleurs pour la présentation des musiciens – c’est souvent l’indicateur d’un bon titre live. La mise en scène fait également des merveilles avec Le Bon Temps du rock and roll, où Johnny Hallyday aligne des pas de chorégraphie très comiques avec son groupe, affichant un sourire d’enfant. Le tendre et délicat Johnny, le «simple» au bon sens du terme, notre ami. Ce Jean-Philippe Smet que nous aimerions tous réconforter quand il interprète A propos de mon père:
N’en parlez pas, n’y touchez pas
Vous qui ne le connaissez pas
Il n’y a qu’en moi qu’il ait vécu
Ce père que je n’ai jamais eu
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L’Olympia 2000, c’est enfin l’hommage rendu par le chanteur à Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia de Paris de 1954 à 1976. C’est à lui que Johnny doit la scène, la grande scène. Et quand il remonte sur ces planches après vingt-sept ans d’absence, ces paroles sonnent justes à la fin du concert: «C’est une émotion extraordinaire pour moi d’être revenu à l’Olympia, parce que c’est un petit peu un retour à mes débuts. C’est un clin d’œil que je fais à mon ami qui nous regarde de là-haut et qui doit être heureux: Bruno Coquatrix.» C’est en somme exactement ce qui s’est passé la semaine dernière, sauf que c’était Johnny, le plus grand chanteur de tous les temps, qui nous regardait de là-haut. Heureux.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Crédit photo: Pathé Live SA
1 commentaire
Un moment de grande émotion, un concert exceptionnel.