Les mercredis du cinéma – Kelly Lambiel
Comme l’indique son titre, palindrome issu du carré de Sator retrouvé dans les ruines de Pompéi, Tenet s’évertue à nous balader dans tous les sens. Sitôt qu’on pense avoir saisi quelques clefs de compréhension, voilà qu’elles nous échappent et c’est le retour à la case «départ». Temporalités superposées, espionnage, personnages énigmatiques, théories scientifiques, effet spéciaux inédits, c’est du grand Nolan, certes, mais aussi un véritable défi intellectuel. «Prise de tête», me corrigeront certains.
Suite à une opération aussi musclée que surréaliste se déroulant dans une salle d’opéra, le protagoniste (John David Washington), chargé de récupérer un mystérieux colis, apprend qu’il a été recruté par une agence d’espionnage afin de d’empêcher une potentielle fin du monde. On lui révèle alors qu’une technologie révolutionnaire permet aux générations futures de communiquer avec le passé (le présent du film), l’inversion. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’est pas ici question de voyage dans le temps, mais plutôt de modification de la trajectoire des objets et/ou des personnes qui avancent donc paradoxalement à reculons.
A la suite d’explications aussi rapides qu’inintelligibles pour un cerveau littéraire comme le mien, on parvient tant bien que mal à comprendre que cette découverte est tombée dans les mains des mauvaises personnes. Ainsi, Sator (tiens, ça me rappelle quelque chose!), l’homme d’affaire russe interprété par Kenneth Branagh, projette de s’en servir pour inverser le cours du temps afin de corriger le passé, au risque d’annihiler notre monde.
Si vous me suivez toujours, vous apprendrez également que s’ajoute à cela la présence de personnages principaux et secondaires dont les motivations, actions et réactions demeurent encore quelque peu floues à mes yeux. Et que l’insertion de dialogues, ayant (peut-être) pour vocation de nous laisser respirer entre des scènes d’actions qui voient se superposer différentes temporalités à une rapidité vertigineuse, ne nous aide en rien à mieux se repérer malgré toute l’énergie déployée par Neil (Robert Pattinson). Après 2h30 d’imbroglio, on sort de la séance à bout de souffle, lessivé par ces montagnes russes neuronales.
Une certitude demeure cependant: un deuxième visionnage s’impose. Et ce n’est pas pour des raisons économiques seulement que bon nombre de critiques présentent – de façon un peu trop enthousiaste certes – Tenet comme étant le film qui «sauvera» le cinéma. On peut évidemment être d’avis que Nolan, qui avait habilement su tirer parti de la complexité inhérente à Inception, ait poussé ici le geste à un paroxysme extrême, démesuré. On peut aussi regretter que l’intrigue, fort difficile à démêler «pour pas grand-chose», finisse par effacer les personnages, invisibles, insipides. Mais force est de constater que sa dernière réalisation, qu’on aime ou qu’on déteste, a un impact réel, presque physique, sur le spectateur.
Si d’aucuns décrochent, pour ma part, j’ai été à la fois tellement désarçonnée et intellectuellement stimulée qu’il m’a fallu faire des recherches, éplucher les critiques, regarder des vidéos, consulter les forums de discussion afin d’épancher mon besoin de compréhension. Suite à cela, forte de nombreuses théories émanant d’esprits aussi intrigués que le mien, qui appuient ou contredisent mes explications, en véritable masochiste, je suis retournée le voir… pour mieux me rendre compte que si certains aspects s’en trouvaient éclairés, d’autres gardaient et garderont, je suppose, leur part d’ombre.
En somme, ce qui m’a plu, c’est qu’en me laissant dans l’incompréhension et sur ma faim, le film a continué à vivre en moi après la séance. Un peu comme lorsque se termine la première et énigmatique saison d’une nouvelle série qu’on a adorée. Ce moment où, en attendant la suite, on échafaude tout un tas de théories. Moi je dis, vive la frustration consentie!
Ecrire à l’auteure: kelly.lambiel@leregardlibre.com
Crédits photos: © Warner Bros Pictures