Les mercredis du cinéma – Hélène Lavoyer
Ballotté entre les réminiscences du visage de Fulvia, dont les yeux seuls lui inspiraient bien plus de romances que les pages écorchées des livres qu’il traduisait, et l’actualité oppressante de la guerre contre les fascistes, Miton perce le brouillard insondable dont son quotidien est à présent constitué.
Engagé, déterminé, il n’aura de cesse de chercher l’un de ces « cafards » afin de l’échanger pour son ami de toujours. Mais de l’amitié ou de la souffrance née d’une trahison, laquelle des deux pousse le dandy à vouloir tant récupérer « son » Giorgio ? Car malgré l’amour et la fidélité portée vers lui, le retrouver signifierait également savoir : a-t-il aimé Fulvia, lui aussi ? Et à quel point ? Leurs escapades nocturnes, dont Milton n’avait connaissance, étaient-elles aussi innocentes que la farouche Fulvia ?
Epuisé par les courses, les espoirs de le retrouver et par l’amour qu’il n’aura jamais su exprimer à la belle autrement que par des lettres, Milton s’écrase à flanc de montagne, ses cris se perdent à l’intérieur, et la seule force le relevant encore est cette détermination inébranlable, ineffable, issue de sa passion pour elle. Dans cette ambiance verdâtre et sombre, son seul réconfort se trouve encore dans les impressions passées de ces moments à observer la belle.
Une constante, l’inconsistance
Il est des histoires que l’on transporte toute sa vie. Des mots et des imaginaires auxquels on s’attache et revient sans cesse. L’adaptation d’Una Questione Privata, un roman de Beppe Fenoglio, n’aura pas réussi à nous marquer durablement en terme de consistance. Entre une rivalité trop tôt perceptible entre les deux amis et le peu de temps mis à disposition pour connaître Fulvia, ne nous reste que Milton.
Ses flashbacks, tout saturés de l’innocence de son amour, nous emportent dans l’intimité de moments intellectuels et partagés tendrement, honnêtement, dans ce ménage à deux ou trois parfois. Pourtant, pareil scénario peine à reposer sur une base si faible : nous ne partageons que peu d’instants avec le tandem, trop peu pour que leur amour ne paraisse partagé.
Quand l’image sauve le scénario
Néanmoins, c’est avec tendresse que l’on reconnaît la passion et la presque folie du premier amour, de l’inconditionnelle possibilité, menant depuis la nuit des temps de juvéniles êtres aux comportements les plus inattendus, irrationnels et, parfois, égoïstes. Le personnage de Milton, transpirant de sincérité, touche le cœur des spectateurs grâce à la proximité entre le regard de la caméra et celui de l’acteur, d’un bleu scindant l’âme.
Outre les gros plans, de nombreux mouvements de caméra magnifiquement orchestrés agrémentent l’intrigue plutôt plate du film. Aux instants où les yeux de Milton se posent sur la belle Fulvia, la caméra prend leur place et c’est alors notre regard qui croise le sien, alors qu’elle esquisse quelques pas de danse sur le vieux plancher de la villa italienne.
L’art de la construction
Deux moments de vie, finalement, se superposent à l’écran. De l’ambiance aux couleurs bleues et verdâtres des collines lactées par cette couche de brume épaisse, nous voyageons vers les temps révolus du partage entre Milton et Fulvia, colorés par les jours d’été et envahis d’un soleil reflétant bien la joie et l’insouciance étiolées par la guerre.
Certaines scènes se fondent l’une dans l’autre, la première laissant petit à petit s’imposer la seconde, l’éclat du soleil brisant la pénombre de l’hiver, et de la banalité du scénario, quelques mots nous resteront au cœur, alors que l’écran se referme sur les trémolos de Somewhere over the Rainbow.
Ecrire à l’auteur : helene.lavoyer@leregardlibre.com
Crédit photo : © Trigon Film