Les mercredis du cinéma – Kelly Lambiel
Trop long, trop court à la fois. Contraste entre scènes violentes et légères. Discours féministe flirtant dangereusement avec le cliché. Mise en scène à mi-chemin entre le théâtre et le cinéma. Deux actrices talentueuses qui mettent de côté la performance pour dévoiler un jeu tout en retenue. Résultat? Une réussite en demi-teinte pour Marie Stuart, reine d’Ecosse. On vous explique pourquoi…
Un début prometteur
Le film commence par une exécution, celle de Marie. Avant qu’elle ne pose sa tête sur le billot, on la suit, de dos, de sa cellule à la salle dans laquelle aura lieu sa mise à mort. Ce plan rapproché, en plus d’être très esthétique, est d’une grande force évocatrice. En effet, il est entrecoupé de plans similaires relatifs à celle que l’on présente d’emblée comme son ennemie, sa cousine Elizabeth I.
Pas de suspens donc quant à l’issue de l’intrigue mais une ouverture efficace sur le plan de la narration et réussie d’un point de vue stylistique. L’histoire revient ensuite sur le conflit qui a uni, pendant une vingtaine d’années, sans que jamais elles ne se rencontrent, les deux prétendantes au trône.
Un scénario peu original et des problèmes de rythme
Une recherche rapide sur le net permet aisément de retracer le fil de l’histoire, pour ceux qui ne la connaissent pas déjà. Marie Stuart est la petite fille de Marguerite Tudor, épouse du roi d’Ecosse et sœur ainée du sanguinaire roi Henri VIII. Cette filiation fait donc d’elle une prétendante légitime au trône d’Angleterre. Pour les catholiques du moins. Pour les protestants, qui reconnaissent le divorce de feu Henri, Elizabeth, issue de son union avec la sulfureuse Anne Boleyn, est la reine légitime.
Seulement, ces précisions sont à peine effleurées, vers la fin du film, lorsque Elizabeth mentionne qu’elle n’est pas comme son père. Certes, le sujet est vaste et la trame est construite sur de nombreuses ellipses qui permettent de faire avancer l’histoire, mais cette succession de moments disparates finit par lasser le spectateur. Pire, elle ne permet pas d’entrer dans la tête des personnages, de comprendre leurs motivations, de s’attacher à eux. Paradoxalement, des longueurs sont à observer sur certains autres éléments qui, bien que conformes aux faits historiques, auraient pu être écourtés, simplifiés, voire supprimés au profit d’une introspection plus profonde.
Les maladresses du conformisme
Dans son premier film, Josie Rourke prend le parti de mettre cette page bien connue de l’histoire anglaise au service de causes actuelles, celle du féminisme en particulier. Pour ce faire, elle n’hésite pas à prendre quelques libertés quant aux faits historiques afin de mettre en lumière certaines problématiques. Elle transforme ainsi l’ambassadeur d’Elizabeth, interprété par Adrian Lester, en homme de couleur, fait de Lord Darnley, campé par Jack Lowden, un homosexuel et de son amant David Rizzio, joué par Ismael Cruz Cordova, un personnage particulièrement efféminé. Une audace que nous aurions saluée si ces thématiques avaient reçu le traitement mérité.
Or, elles semblent malheureusement n’avoir été ébauchées que pour montrer que le film s’inscrit bien dans l’air du temps. Quant au discours féministe, il ne parvient pas non plus à éviter certains écueils. Dès les premiers dialogues, on comprend qu’il n’est pas seulement question de rivalité entre deux cousines, entre catholiques et protestants. Il s’agit bien de la lutte acharnée de deux femmes qui se battent pour trouver leur place dans un monde qui leur est particulièrement hostile, un monde d’hommes. Ce combat est ce qui finira par rapprocher Elizabeth et Marie, mais faire d’elles des sœurs ennemies comme le montrent à de nombreuses reprises leurs échanges de lettres.
Manipulées par des conseillers misogynes souhaitant les voir brider par leurs époux, elles ont toutes deux toujours refusé de se soumettre à des mariages politiques et de faire des concessions sur leur vie amoureuse. Si la réalisatrice illustre très bien ce point à l’aide de répliques tout à fait pertinentes, elle perd son statut de porte-parole de la cause féministe lorsqu’elle place dans la bouche de la reine d’Angleterre des phrases du type: «Je suis davantage un homme qu’une femme, c’est ce que le trône a fait de moi» ou «je choisis d’être un homme et vous êtes [son conseiller, à savoir Guy Pearce] ce qui s’apparente le plus à une épouse pour moi». Dommage.
La forme au secours du fond
Malgré ces quelques défauts, il faut toutefois relever l’esthétique très soignée et la puissante portée symbolique de certains tableaux très bien construits. Les paysages, les décors et les costumes sont de grande qualité et les contrastes clair-obscur nous donnent parfois l’impression d’être à l’intérieur d’un tableau baroque. La scène d’ouverture, comme mentionné plus haut, est habilement réalisée, puisqu’elle permet d’opposer d’emblée les deux cousines, mais évoque aussi subtilement le lien qui s’est tissé entre elles.
Filmées de dos, arborant la même coiffure, elles se confondent et se distinguent par la couleur de leurs cheveux. La naissance de l’enfant de Marie, dont Elizabeth finira par faire son héritier, est également un moment fort du film. Il porte en effet en lui les espoirs des deux reines, à savoir l’unification de l’Ecosse et de l’Angleterre, sous une même couronne. Ce désir commun est délicatement porté à l’écran par des images superposées des deux reines réunies dans cette scène par leurs voix-off.
La rencontre des deux souveraines termine de confirmer nos propos, et sauve tout le film. Dans cette scène magistrale et tant attendue, tout est parfait. Avant de se faire enfin face, Margot Robbie, méconnaissable en Elizabeth ravagée par la variole, et Saoirse Ronan se cherchent, se toisent et s’apprivoisent. S’étant donné rendez-vous dans ce qui ressemble à une blanchisserie, elles s’observent d’abord à travers la multitude de draps qui les séparent.
Lorsqu’elles se dévoilent enfin l’une à l’autre, on s’étonne de ne les voir pas céder à la surenchère, pour notre plus grand bonheur. Pas d’effusions de larmes, pas de cris. Deux femmes qui règlent leurs comptes face à face, dans une simplicité d’une puissance phénoménale. Des émotions contenues, un jeu d’une violente douceur, deux reines enfin attachantes.
Ecrire à l’auteur: lambielkelly@hotmail.com
Crédit photo: © Universal Pictures
Marie Stuart, reine d’Ecosse |
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USA et Royaume-Uni, 2019 |
Réalisation: Josie Rourke |
Scénario: Beau Willimon, d’après l’œuvre de John Guy |
Interprétation: Saoirse Ronan, Margot Robbie |
Production: Tim Bevan, Eric Fellner, et al. |
Distribution: Universal Pictures |
Durée: 2h04 |
Sortie: 27 février 2019 |