Le Regard Libre N° spécial «Ecologie: Pour un revirement intégral» – Nicolas Jutzet
Le livre de Fabrice Houzé est une réponse à la sempiternelle formule appréciée par les politiques: «ce bien n’a pas de prix». Pas de prix, peut-être; mais un coût, assurément. Dans la suite d’exemples listés tout au long de l’ouvrage, apparaissent de nombreux sujets que nous prenons pour acquis, pour justes, des mesures de «bon sens» qui, une fois passées au scanner, nous paraissent soudainement bien moins évidentes. Derrière cet amas d’idées reçues se cache pourtant une facture lourde, payée par les citoyens, la planète, ou encore nos futurs enfants. Le livre, sélectionné parmi quatre autres pour le prix Turgot du meilleur livre d’économie, aborde différentes thématiques. Dans le cadre de notre édition spéciale, nous avons interrogé son auteur sur son chapitre réservé à l’écologie.
Nicolas Jutzet : Le Malthus des temps modernes assène souvent un argument apparemment infaillible, à savoir que «la croissance infinie dans un monde fini est par essence une aberration intellectuelle.»
Fabrice Houzé: Il s’agit d’une jolie formule, mais qui ne repose sur aucune limite physique, au moins à l’horizon de notre siècle. Par exemple, la fission nucléaire permettra de rendre l’énergie quasi infinie à notre échelle: l’équivalent d’une batterie et de quarante litres d’eau suffiront à couvrir les besoins énergétiques d’un Européen durant toute sa vie!
La «croissance verte» relève de l’absurdité économique et revient à «remplacer des pelleteuses de chantier par des pelles et de la sueur»?
Le photovoltaïque a du sens là où le soleil brille, dans les pays du Sud, en Californie. L’éolien, là où le vent souffle, comme au Danemark. Vouloir en installer partout, en négligeant l’efficience, n’a pas de sens, car ce n’est pas gratuit, même écologiquement: il faut deux fois plus de béton et dix fois plus d’acier pour construire les milliers d’éoliennes équivalant à une centrale nucléaire. Quant aux emplois créés artificiellement, dans des activités inefficientes, que ce soit par l’Etat ou par le privé, ils ne sont pas pérennes. Si vous supprimez les pelleteuses et les lave-linge, oui, creuser et laver le linge nécessitera énormément plus d’emplois. Mais le prix de ces services augmentera énormément; or le budget des ménages étant constant, ils cesseront d’acheter d’autres biens et services. Et ces secteurs-là supprimeront des emplois…
Sous prétexte de vouloir du nucléaire, l’écologie politique avale bien des couleuvres: utilisation du charbon, achat de nucléaire étranger pendant la nuit, etc. L’exemple allemand suffira-t-il à démasquer ces incohérences?
Pour qui veut bien se pencher sur les chiffres, oui, l’échec est patent. Aucun emploi créé, l’électricité la plus chère au monde, des émissions de CO2 qui n’ont pas baissé, et pour cause, le photovoltaïque et l’éolien ne représentent que 2% de la production totale d’énergie allemande! Ce chiffre résume bien le gâchis des centaines de milliards d’euros investis.
Vous relativisez également la peur du nucléaire, qui est moins dangereux que les autres énergies. Comment expliquez-vous sa diabolisation?
L’énergie nucléaire est mal comprise. La population l’associe aux bombes nucléaires qui n’ont pourtant rien à voir, si ce n’est la théorie de la physique des particules sous-jacente. Une centrale nucléaire qui a un accident ne peut pas exploser comme une bombe nucléaire. Il faudrait insister sur ces fondamentaux au collège. On a oublié que James Lovelock, considéré comme le père historique de la pensée écologique, était membre de l’AEPN, l’Association des Ecologistes Pour le Nucléaire!
Autre lieu commun démonté dans votre ouvrage: le «local». Selon vous, «consommer les produits de l’agriculture locale pour minimiser le transport n’est pas forcément plus vertueux.» Pouvez-vous nous donner un exemple?
L’agneau: l’agneau néo-zélandais est élevé en plein air et transporté sur 20’000 km par bateau depuis la Nouvelle Zélande. Pourtant, il ne pollue pas plus que notre agneau local. En effet, on se focalise sur la distance alors que le transport maritime consomme très peu de carburant. En revanche, les produits agricoles périssables, qui sont transportés rapidement par avion, ne sont effectivement pas du tout vertueux.
«Malheureusement, ou heureusement, économiser l’énergie en libère pour une autre forme de consommation.» Ou quand la loi se retourne contre son auteur?
C’est tout le problème de l’omniprésence du carbone dans les activités humaines. En général, les ménages qui économisent sur le chauffage se retrouvent à partir sur les plages de la Martinique (encore l’avion), ce qui n’est pas mieux. Il n’y a pas beaucoup de dépenses de loisir qui échappent au carbone: les massages, les spectacles vivants, les œuvres d’art et, plus généralement, parmi les articles de luxe, ceux qui exigent beaucoup de main d’œuvre.
«Le réchauffement climatique n’est en aucun cas notre problème le plus urgent, sans doute seulement le plus à la mode». Pourtant, l’entier, ou presque, de la classe politique semble emballé par la thématique. Pourquoi cet engouement?
Parce que le réchauffement climatique est un film à grand spectacle avec ouragans gigantesques, sécheresses séculaires, et même peut-être la fin du monde. Mais pour le moment, la planète et sa faune souffrent beaucoup plus, et de manière certaine, de la pêche, de l’agriculture et des pollutions. Au point qu’au rythme actuel des disparitions, il ne restera plus tellement d’espèces pour assister à cette fin du monde…
«Diminuer fortement notre consommation de viande devrait être une priorité pour la préservation de la planète.» Taxer la viande plutôt que les énergies fossiles serait une incitation efficace à réduire notre consommation et l’impact de notre mode de vie sur la planète?
L’élevage représente 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre! Néanmoins, on en parle peu, voire pas. Et surtout, l’élevage est une des principales sources de polluant: engrais, pesticides, hormones, antibiotiques. Certes, il faut bien qu’on mange, alors pourquoi vilipender l’élevage plus que le reste de l’agriculture? Parce que produire 1 kg de bœuf nécessite 10 kg de céréales. Or nous pourrions satisfaire nos besoins physiologiques en mangeant directement les céréales. Du coup, manger du bœuf revient à gaspiller 90% des cultures. C’est pourquoi, entre autres, je suis un végétarien convaincu.
Dans votre livre, vous reprochez à la mouvance verte de faire preuve d’idéologie et de céder trop facilement à l’interdiction. Existe-il une façon de s’attaquer au problème sans prendre des mesures paternalistes? L’humain réagit à des incitatifs, il s’agit donc d’introduire les bons, non?
Tout à fait, d’où la taxe sur la viande, qui n’est d’ailleurs pas une interdiction. Finalement, je reproche aux mouvements écologistes politiques leur manque de réflexion, qui aboutit à une ribambelle d’injonctions pas très constructives: «Achetez local!», «Triez vos déchets!», «Renoncez à votre voiture!». De plus, leur attitude est trop souvent contre-productive, comme leur soutien aux agrocarburants (encore de l’agriculture) ou leur acharnement contre le nucléaire.
Que pensez-vous de Richard Thaler et de son «paternalisme libertarien»?
Je connais de lui le principe des incitations, auquel je suis favorable. Pourquoi s’interdire en politique de recourir aux moyens de persuasion et de marketing que les grandes marques utilisent massivement?
Vous êtes sceptique face aux volontés politiques de voir loin, le fameux «gouverner, c’est prévoir» ne vous convainc pas. Pourquoi?
Gouverner est surtout devenu un métier pour l’homme politique, dont le but, comme pour tout professionnel, est de poursuivre sa carrière. Son travail principal? Veiller à être réélu. Une réforme fondamentale des institutions serait d’interdire le cumul temporel des mandats. Le personnel politique serait ainsi intégralement renouvelé à chaque élection, et être politicien serait juste un épisode de la vie, comme le service militaire. Peut-être que la politique reviendrait alors à son sens premier: être au service de la cité.
Ecrire à l’auteur: nicolas.jutzet@leregardlibre.com
Crédit photo: © Fabrice Houzé
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