Le Regard Libre N° 6 – Sébastien Oreiller
« Une certaine confusion règne encore, mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira ; nous verrons enfin apparaître le miracle d’une société animale, une parfaite et définitive fourmilière. » – Paul Valéry, La Crise de l’Esprit (1919)
Il est à se demander si toutes les libéralisations récentes, toutes les avancées technologiques, en bref tout ce qui avait pour but de rendre à l’être humain sa liberté et sa dignité, n’ont pas servi à faire de lui la chose, l’animal peut-être, qu’il redoutait tant de devenir. « Rien ne se fera plus que le monde entier ne s’en mêle » prophétise encore Valéry à la fin de la IIe Guerre Mondiale. Facebook, Instagram, Twitter et j’en passe sont devenus les garants de ce nombrilisme généralisé : Moi sur les montagnes. Moi en train de me saouler. Moi en train d’aider les pauvres. Tout ce petit moi moi est devenu insupportable ; la charité elle-même n’est plus que carnaval.
L’obsession d’être vu de tout le monde, pire encore l’obsession d’être aimé de tout le monde, voilà la véritable prostitution de notre époque. Le camarade de classe n’est plus envisagé que sous la forme d’une tête de bétail dans un troupeau que, jour après jour, patiemment, il convient de se constituer. Quel grand leurre que l’amitié ! Quelle tromperie que les échanges, les sourires bienveillants, les franches poignées de main quotidiennes. En face de la meute, le « pote » n’est qu’un morceau de viande. On est de premier ou de deuxième choix, c’est selon.
Ce phénomène est d’autant plus visible chez nous que les Valaisans, qui sont un peuple de paysans, ne sont pas réputés pour leur savoir-vivre ; cela, tout le monde le sait. Ah ! les bienfaits d’une éducation rousseauiste, proche de la nature et des animaux. Ah ! qu’il est bon de voir ses enfants s’épanouir d’eux-mêmes en ramassant des abricots et des asperges. Pourquoi en serait-il autrement ? Au fond, nous ne sommes qu’une meute.
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Crédit photo : © Le Figaro