Les discours autour du sacré reviennent peu à peu sur le devant de la scène, tant chez les jeunes sur les réseaux sociaux que dans le monde politico-médiatique. Un retour plus instrumental que spirituel.
Alors que la déchristianisation de l’Occident semble poursuivre son chemin entamé dès la fin du XVIIIe siècle, les références au christianisme et à la spiritualité se multiplient dans les médias, sur les réseaux sociaux et en politique. Cette revalorisation du sacré, en particulier catholique, semble surtout relever d’un sursaut identitaire provoqué par un sentiment de submersion face à l’immigration arabo-musulmane qui, elle, n’a pas délaissé sa religion et ses traditions.
En 2016, un sondage de l’institut IFOP signalait déjà une nette progression de l’hostilité des catholiques pratiquants envers l’islam sur les dernières années. Jérôme Fourquet, directeur de l’institut, estimait que cette tendance était due à «l’idée d’une concurrence, d’une asymétrie entre la religion catholique, historique mais en déclin démographique, et un islam perçu comme en pleine dynamique démographique».
Face à ce sentiment de déclin, le recours au christianisme s’est popularisé au sein de la droite conservatrice européenne, comme le constatait le spécialiste du catholicisme Yann Raison du Cleuziou pour Marianne: «Cette instrumentalisation permet d’affirmer que les musulmans ne seront jamais des Français ou des Européens comme les autres. (…) La symbolique religieuse devient un pur instrument identitaire.»
La religion comme accessoire
Sur les réseaux sociaux, la « concurrence » entre les deux religions est également visible. D’un côté, des prédicateurs musulmans rigoristes font les yeux doux aux jeunesses des quartiers européens à travers des vidéos dignes d’un «salafisme pour les nuls». De l’autre, par un effet de mimétisme surprenant, une certaine jeunesse conservatrice décide de revendiquer «son» sacré catholique, allant de la simple utilisation des symboles religieux à des phénomènes plus originaux comme la promotion du voile chrétien par des jeunes femmes sur TikTok.
A y regarder de près, l’application concrète de ce «catholicisme TikTok» ressemble en fait à une piètre contrefaçon de l’islam dans ses versions les plus puritaines. Il reprend ses codes, ses thèmes, ses formules («que Dieu nous facilite»), créant des parallèles hasardeux entre les voiles chrétien et musulman, carême et ramadan… Entre rejet et imitation de la religion musulmane, le christianisme devient alors un accessoire à ajouter à la panoplie conservatrice.
Si la question se limitait à quelques jeunes en quête de cadre et d’identité, le phénomène serait anecdotique. Or, en toile de fond, ce renouveau est largement alimenté et repris par le champ politique. Au sein de la droite identitaire européenne, de Reconquête à Vox, en passant par Fratelli d’Italia, on exalte généreusement le catholicisme à coup de slogans. Mais le discours, encore une fois, dépasse rarement le symbolique.
Le christianisme sans le Christ
En Suisse, l’UDC s’érige aussi comme un rempart de la civilisation chrétienne, sans montrer de véritable intérêt pour les questions théologiques. En 2023, le candidat du parti de droite conservatrice pour le Conseil d’Etat genevois, Michael Andersen, se présentait sur la chaîne de télévision Léman Bleu comme un fervent défenseur du christianisme, tout en admettant ne pas se rendre à la messe par «manque de temps», comme si elle était un repas un peu contraignant à placer entre deux rendez-vous clients.
La référence au christianisme se réduit alors à de l’utilitaire, à une posture pour séduire un électorat bien précis. Elle n’est qu’un étendard au nom d’une guerre de civilisation où le spirituel cherche encore sa place. En somme, ce «renouveau chrétien» est surtout le signe d’un mariage malsain: défendre le christianisme et combattre l’islam sont pour ainsi dire devenus des synonymes.
S’il est légitime d’être attaché à la permanence de la culture occidentale, le christianisme est d’abord la révélation d’un message universel, qui en l’occurrence brille par son absence. Qu’il soit redevenu un instrument politique contre une communauté religieuse ou un ensemble d’accessoires à greffer sur un vide identitaire montre à quel point nous sommes bien loin d’un véritable et profond retour du sacré.
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