Mertvecgorod, cité-Etat fictive, tournant du millénaire. Cinq ados en marge se défoncent quotidiennement aux drogues et aux bandes-son punk pour oublier le marasme dans lequel ils évoluent. Le meurtre de Valentina, une voisine travestie, va rebattre les cartes de leur quotidien.
Lauréat du Prix Sade 2019 pour son roman Métaphysique de la viande, Christophe Siébert s’est depuis lancé dans une épopée trash aux accents russes. Après Images de la fin du monde et Feminicid (qui constituaient les Chroniques de Mertvecgorod), l’écrivain français publie cette année Valentina, entamant un nouveau cycle: Un Demi-siècle de merde. Ces ouvrages, violents et absurdes, mettent en scène différents pans sociétaux de son univers, allant des politiques oligarchiques aux petites gens déclassées.
Mal de mère patrie
Construction littéraire originale, l’auteur narre le quotidien d’une cité-Etat, Mertvecgorod, enclavée entre la Russie et l’Ukraine. Cet endroit, dépotoir géant à ciel ouvert, regroupe toute l’absurdité de l’ex-URSS et la violence invasive du capitalisme moderne. Résultat: la population a faim, froid, et s’abîme dans toutes les substances permettant une brève échappée. Dans ce monde vivent cinq adolescents punks et déscolarisés confrontés beaucoup trop tôt aux horreurs du quotidien.
«Il paraît que dans d’autres secteurs ça se passe différemment, qu’on respecte les enseignants, qu’on écoute, qu’on apprend des choses, même des choses utiles qui permettront plus tard d’avoir un métier, un salaire correct. De telles considérations les font rire, de telles idioties, tu parles, un métier, un salaire, si déjà ils sont encore en vie à trente ans ce sera un miracle. Apprendre quoi? A devenir esclave des oligarques? Merci bien. Mieux vaut crever les armes à la main ou une seringue dans le bras, d’ailleurs leurs héros ne racontent pas d’autre chose, les punks, les rappeurs, les goths. Foutre le bordel autant qu’on peut, cracher dans la soupe, quelle soupe, enculé? On a même pas d’assiette. Quant à la table, les huissiers sont en train de l’embarquer.»
Par ce constat sombre et lucide de leur vie, les cinq héros se confrontent à une violence si ordinaire qu’ils doivent eux-mêmes l’alimenter sous peine de rester sur le carreau. Mais alors que la mort frappe à leur porte, que reste-t-il à jouer pour empêcher la situation de dégénérer encore un peu plus? Accusés à tort d’un crime, jusqu’où iront-ils pour se faire éclater la vérité et survivre? Siébert traite de ces questions avec un sens de la prose très particulier.
De la perversion et de l’argot
Le roman est construit dans une langue très orale, parsemée d’argot, de russe et de néologismes rendant Mertvecgorod extrêmement vivante, presque palpable à travers quelques écrans de télévision diffusant chaque soir les horreurs s’y déroulant. La ville est en effet découpée en secteurs, des «rajon», qui séparent les défavorisés des milliardaires profitant d’une nouvelle hausse de loyers pour s’acheter la dernière Ferrari. Et si l’école semble être une porte de sortie usuelle, les étudiants sont bien trop conscients de leur vie pour espérer s’en sortir par ce biais. Ils préfèrent donc danser, se droguer et s’enivrer autant que possible avant que la fin n’arrive, dans une fuite en avant brutale qui les force à grandir trop rapidement.
Le roman abandonne alors la chronique de mœurs pour verser dans le vrai roman noir, avec réalisme sale et tueur qui rôde. Défiant les clichés et les attentes, Christophe Siébert livre un récit poignant, très violent, parfois drôle, mais également touchant, sur un monde fictif si proche du nôtre qui bouleverse les codes trop engoncés du roman moderne français.
Ecrire à l’auteur: mathieu.vuillerme@leregardlibre.com
Crédit photo: © DR
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Christophe Siébert
Valentina
Au Diable Vauvert
2023
260 pages