Les lettres romandes du mardi – Nicolas Jutzet
Le nouveau roman de Joël Dicker, qui par son épaisseur rappelle celui qui l’aura fait largement connaître – La Vérité sur l’affaire Harry Quebert – se trouve à peine dans les rayons des librairies qu’il est déjà en tête des ventes. Business as usual, en somme. Et pourtant, assurément, La Disparition de Stephanie Mailer est une nouvelle prise de risque. Encore gagnante ?
Mêlant et entremêlant les personnages, si nombreux que l’on s’y perdra parfois, le récit dévoile rapidement sa faiblesse. Complexifiant inutilement une histoire pourtant fluide, l’auteur semble avoir ici péché par excès de gourmandise. Les postes semblent doublés, ou pire, entre le quadruple meurtre, le coéquipiers, les maires et leurs adjoints, maris et ex-maris, rédacteur en chef, second, on sature.
Au fil du récit, on finit par se désoler devant tant de chicaneries. La bureaucratie littéraire, une invention estampillée Joël Dicker ? Pour le reste, comme dans les précédents ouvrages, nous restons scotchés de la première à la dernière page à la volonté de connaître « la vérité ». Celle qui finit par jaillir, tel un geyser, en apothéose finale.
La longueur, un frein ?
L’impression de se perdre dans la multitude de personnages est sans aucun doute encouragée par l’incessante rocade du narrateur, qui, chapitre après chapitre, change, pour présenter sa vision de l’évolution de l’histoire. Et pourtant, nous avons entre les mains une version épurée. Lors de son passage à « On n’est pas couché », l’auteur a dévoilé que le manuscrit faisait à la base le double d’épaisseur. La richesse des personnages et des visions auraient-elles souffert de cette compression éditoriale ?
Le doute subsiste et nous laisse un léger regret, tant le roman, malgré sa facilité d’approche, paraît indigeste par passages. C’est d’ailleurs l’analyse partagée par le chroniqueur vedette Yann Moix, en verve, lequel s’est permis un léger recadrage qui détonne dans cet océan de louanges. L’échange mérite une courte retranscription :
Laurent Ruquier : « Je ne suis pas sûr que ce soit la littérature de mes camarades, j’aime autant vous le dire tout de suite. »
Yann Moix : « J’enlèverais “de mes camarades” : je ne suis pas sûr que ce soit de la littérature tout court ! »
Derrière la phrase faussement polémique, se cache pourtant un jugement compréhensible et admissible, même pour le lecteur assidu. Joël Dicker est un auteur à succès, qui sait captiver l’attention des bouquineurs, sans toutefois avoir sa place parmi les « grands » auteurs. Certains auteurs doivent être lus ; d’autre le sont. Loin d’être méprisable, cette frange de la littérature devrait être chérie par les esprits fins comme celui de Monsieur Moix. Joël Dicker sert de porte d’entrée à d’autres lectures, peut-être plus exigeantes, peut-être moins, mais il fait lire, et c’est tout à son honneur. Ne n’oublions pas.
« Il n’y a rien que j’aime plus que le lever de soleil, en toute saison, sur la marina. Voir l’horizon d’encre se percer d’un point rose vif puis orangé et voir cette boule de feu qui s’élève lentement au-dessus des flots. »
Et la suite ?
L’adaptation de son bestseller La Vérité sur l’affaire Harry Québert sous la houlette de Jean-Jacques Annaud verra le jour prochainement, non sans avoir recalé Steven Spielberg, qui se montrait intéressé par le projet. Une nouvelle étape dans l’aventure pour l’instant sans accroc du Genevois. L’occasion également d’évoquer l’éditeur de Joël Dicker, Bernard de Fallois, décédé récemment, président et fondateur des éditions de Fallois, qui aura, le premier cru en celui qui est aujourd’hui une star mondiale.
Pour ma part, dans l’œuvre de Joël Dicker qui, cette fois encore, aura su passionner les lecteurs, mon livre préféré reste Les Derniers Jours de nos pères, moins palpitant et addictif que le reste de son œuvre, mais infiniment plus intime et touchant, par sa froideur, la période de la guerre, puis sa chaleur, par la beauté et la profondeur des personnages. En résumé, chacun peut trouver son bonheur dans la bibliographie de l’auteur du jour, à condition de vouloir passer un moment de lecture agréable, sans forcément s’attendre à lire du Joris-Karl Huysmans ou autre classique plus exigeant.
« Nous sommes comme les pétales d’un pissenlit, rond et magnifique, et le vent a soufflé chacun de nous sur des coins différents de la terre. »
Ecrire à l’auteur : nicolas.jutzet@lereregardlibre.com
Crédit photo : © Nicolas Jutzet pour Le Regard Libre