Les lettres romandes du mardi – Nicolas Jutzet
Dans son roman Faire le garçon, Jérôme Meizoz, en alternant récit et enquête, s’intéresse à la masculinité et à la violence des normes sociales. En mêlant fiction et récit autobiographique, il signe un ouvrage qui, à défaut d’être un chef-d’œuvre, permet le questionnement.
Jeune homme aux boucles d’or, on intime au «garçon» – nom impersonnel donné au héros de l’histoire – de devenir un homme, de se défaire de sa féminité. Bref, de répondre à ce que la société attendrait de lui. D’être viril et fort. De rentrer dans le rang, celui du chemin prédéfini.
Un garçon, ça ne pleure pas pour rien, ça s’impose et ça se défend, ça ne se préoccupe pas des habits, des tissus, ça ne fait pas une affaire de son apparence. Et surtout, un garçon ne reste pas dans les jupes.
Dans une tentative de dénoncer le chape de plomb que serait la pression sociale, l’auteur se perd. On peine à suivre son raisonnement, sa volonté caricaturale et manichéenne d’un monde qui n’existe pas, ou du moins plus. Certes, certaines scènes décrites sont vraies. L’homophobie ordinaire ou le sexisme sont des réalités qu’il serait déplacé de nier, mais il faut savoir raison garder, éviter de verser dans l’excès. Or ici, nous y sommes.
La prostitution masculine, un échappatoire
Pour montrer qu’il est capable de s’extraire de cette fatalité construite, le «garçon» se révolte. Refusant d’embrasser une carrière professionnelle qui engage, il décide de vendre ses caresses, tout en s’arrogant une contraire finalement bien bourgeoise, pour ne pas dire bigote. Il caresse, mais ne pénètre pas. Son public, les ménagères fatiguées à la recherche des sensations oubliées, ne font que perpétuer les clichés que l’auteur semble pourtant vouloir combattre. Il se lance ensuite dans un plaidoyer contre le mariage, contre les enfants. Dans un poème d’une rare éloquence, il explique son choix:
Voila, je me suis décidé. Mes enfants? Je préfère les garder avec moi tout le temps. (Il pose la main sur ses bourses). Là au moins, ils ne risquent rien. Papa les protège! Ils sont bien au chaud toute l’année. Et je forme une famille unie.
On retrouve ici des revendications banales pour qui lit de temps à autre la presse progressiste. Les féministes se battent déjà pour le droit à l’absence d’enfants, sans avoir à subir les questions et les jugements d’autrui. D’autres pour abattre l’institution du mariage, avec un certain succès. Pendant que les suivants nous ressassent les bienfaits du travail à temps partiel. Et les derniers, comme moi, rappellent que la prostitution est un métier comme les autres et qu’il mérite, non pas forcément notre respect, mais au minimum notre indifférence. Se croyant courageux, le texte est une énième contribution à l’avis majoritaire, celui qui règne dans les sphères journalistiques et artistiques. On surfe sur la vague, se croyant faussement innovant et insolent. En réalité, on nage dans les lieux communs, les banalités, à s’y noyer.
Chacun doit être libre de s’exprimer, de se représenter, comme bon lui semble. Il n’est pas souhaitable de continuer à entendre des remarques sexistes et homophobes, mais il serait tout autant regrettable de devoir subir les manifestes faussement transgressifs d’une foule de pédants qui ignorent la vieillesse de leur prétendue jeunesse. Et l’étendue de l’ennui qui peut engendrer cette dernière, faussement progressive, jamais expliquée. Même face à un lectorat convaincu par une cause qui, je l’espère, gagnera.
Même dans ses gestes tarifés et choisis, il met une sorte d’amour. Impersonnel, en quelque sorte. Pour les vivants et leurs maux, leurs besoins tragi-comiques, leurs attentes déçues, les coulisses moroses de l’existence.
Touchant, par sa part autobiographique, l’ouvrage peine toutefois à sortir de cette lancinante et fatigante moraline qui parfume les pages.
Ecrire à l’auteur: nicolas.jutzet@lereregardlibre.com
Crédit photo : © Nicolas Jutzet pour Le Regard Libre