Les bouquins du mardi – Lauriane Pipoz
Marguerite est une paysanne savoyarde. Elle travaille chez un pharmacien avec qui elle a une très bonne relation. Voyant en la jeune femme beaucoup de potentiel, il décide de la recommander à une riche famille de Genève. Marguerite et sa famille partent alors pour la ville dans un contexte où la paysannerie est une activité très difficile: c’est en l’an 1815, l’«année sans été» où le climat a pâti de l’explosion d’un volcan indonésien.
Le roman s’ouvre sur un dialogue entre Marguerite et sa mère. Si le dialogue est certes très difficile à construire pour ne pas paraître vide de sens, il s’agit de quelque chose qui n’est à mon sens pas maîtrisé dans ce roman. Beaucoup d’hésitations – traduites par des points de suspension –, de répliques qui apportent peu de choses pour cerner les personnages ralentissent le récit. Ce qui peut grandement donner envie au lecteur de sauter quelques passages pour aller à l’essentiel.
«Margue…Margot m’a dit qu’elle allait avoir une lettre.
– Quoi comme lettre?
– Une lettre pour Genève.
– Et elle t’en a parlé quand, ta sœur?
– Il y a quelques jours…Il y a tout juste quelques jours.»
Une psychologie pas solide
Si le suspense est au rendez-vous – notamment grâce à la construction judicieuse du récit sous forme d’épisodes –, de nombreux éléments introduisent un manque de cohérence. Citons notamment certains personnages dénués de crédibilité. Le cas le plus parlant est pour moi celui de Charles, enfant de treize ans dont s’occupe Marguerite. Ce dernier semble parvenir à des réflexions plutôt abouties pour son jeune âge, et qui m’ont par moments laissée très sceptique:
«La dureté de son regard dévoilait une Marguerite qu’il ne connaissait pas (…). «Est-ce là que nous mène la différence des classes?» se demanda-t-il. «A l’abolition de toute humanité au profit de la haine?» Il n’était pas utile de faire la morale à Marguerite, ce qui agitait la jeune fille dépassait toute analyse rationnelle. Ses tripes bouillonnaient, il le voyait à ses joues rouges.»
La psychologie des protagonistes ne semble pas très travaillée de façon générale. On apprend très rapidement la raison qui les ont poussés à faire telle ou telle action, ce qui paraît un peu trop simple et schématique. Si le lecteur est à de nombreuses reprises impatient de connaître les motivations des héros – grâce à nouveau à la bonne construction de l’intrigue –, il se retrouve frustré d’en prendre connaissance trop facilement et de façon souvent trop brute.
Les pensées des personnages formulées en toutes lettres donnent également une impression de manque de finesse. Certaines s’étalant parfois sur des pages entières. Leur très grand nombre prend en otage le récit et on déplore que l’auteure n’ait pas réussi à rendre compte des impressions des protagonistes de manière plus subtile.
«Anne voulut s’approcher, mais elle vit que la jeune fille bouillonnait de rage. «Décidément, elle me déconcerte. Mais plus pour longtemps.» Comme si elle avait lu dans les pensées de sa patronne, Marguerite leva vers elle des yeux revêches presque moqueurs.»
Mais un roman très historique
Malgré des personnages manquant de reliefs, le roman reste intéressant s’il est pris sous l’angle d’un roman historique. La dureté de la vie en l’an 1815 telle qu’elle est dépeinte prend aux tripes.
«Ils aperçurent un groupe qui s’agitait accroupi au bord de la route. Lorsqu’ils s’en approchèrent, un homme se leva et vint à leur rencontre menaçant, brandissant un poignard maculé de sang. «Passez votre chemin!» hurla-t-il. Il avait la mine blafarde et les joues creusées, ses yeux cernés sortaient de leurs orbites.»
On en apprend également beaucoup sur la façon de vivre des hommes des champs et des villes grâce à des descriptions vives et bien intégrées dans le récit. Les travaux des paysans, usant de leurs muscles jusqu’à épuisement, et le quotidien des marchands, ponctué par les interventions de la police des marchés, sont bien détaillés et piqueront l’intérêt des lecteurs adeptes d’histoire.
«Elle commença à déballer ses affaires, lorsqu’une femme bourrue tirant un chariot rempli de céramiques vint l’enjoindre agressivement de lui laisser cet espace à l’abri de la pluie. Régine tenta d’argumenter que les produits à elle étaient plus fragiles, mais la marchande ne comptait pas lâcher prise et Régine craignit d’attirer l’attention de la police des marchés.»
Saluons également la présence d’un postface et de notes explicatives sur Genève en 1816 à la fin du livre. Cette initiative permet de compléter les connaissances historiques acquises au fil de récit et clôt le livre de façon agréable, même si un grand manque de finesse est à déplorer.
Crédits photo: © Lauriane Pipoz
Ecrire à l’auteur: lauriane.pipoz@leregardlibre.com
Matylda Hagmajer
Le soleil était éteint
Editions Slatkine
2019
303 pages