Les bouquins du mardi – Amélie Wauthier
J’étais en seconde au lycée Massena quand ma prof de Français m’a mis «La fée carabine» entre les mains. (Je pense que c’est à cette époque que remonte ma mauvaise habitude de lire la plupart des bouquins dans l’urgence: parce que j’ai un exposé – aujourd’hui un article – à rédiger pour le lendemain.) Nice, l’an 2002, j’avais seize ans et un intérêt pour la littérature pas franchement prononcé quand je suis tombée follement amoureuse de Benjamin Malaussène, de sa tribu, de leur chien épileptique et de la plume qui donnait vie à tout ce joyeux bordel. Bref, je venais de découvrir Daniel Pennac et j’étais super mordue!
Alors forcément, l’autre jour – on était jeudi, j’essaie de corriger tant bien que mal mes mauvaises habitudes – le dernier Daniel Pennac, bien mis en valeur sur l’îlot des nouveautés, a tout de suite attiré mon attention. «Oui, mais Amélie, me suis-je dis à moi-même, es-tu certaine que ce soit une bonne idée de choisir ce livre? Souviens-toi de ce qui s’est passé la dernière fois…» Depuis les folles aventures de la famille Malaussène, et surtout la fin de la saga, j’ai étendu mon champ de lecture aux autres œuvres de l’écrivain, avec toujours beaucoup de plaisir.
C’est ainsi qu’un jour, le cœur gonflé d’enthousiasme, j’ai fait confiance à mon auteur préféré – lui qui m’avait vendu tant de rêve et de rire – et je me suis procuré Comme un roman, grand classique pennacien, et Le dictateur et le hamac. Malheur! Je n’ai pas du tout aimé. Grosse catastrophe et drame dans mon univers, je pense même ne pas avoir fini le premier (ça ne m’était jamais arrivé auparavant de ne pas terminer un bouquin, mais je ne connaissais pas encore Romain Gary). Voilà donc où on en était resté, Daniel et moi. Il était temps de nous accorder une seconde chance. La loi du rêveur, le titre était prometteur.
«Pour autant qu’on puisse dater ce genre de naissance, je suis devenu écrivain la nuit de cette conversation avec Louis. J’avais dix ans et j’affirmais à mon meilleur copain que la lumière c’est de l’eau.»
Je dois bien admettre que ce style m’avait fortement manqué. Tel un ogre, j’en dévore les mots et parcours ces trente-quatre premières pages avec gourmandise, félicitant au passage Pennac pour certaines de ses pétillantes trouvailles comme si ce dernier pouvait m’entendre penser. Je suis transportée d’un rêve à un autre en passant par la réalité, celle du passé, puis du présent… et les choses commencent gentiment à s’embrouiller. Les noms se mettent à tomber en cascade. Mila, Nora, Minne, Charlotte, Vincent, Christofo, Corentine, Carole, Kahina, Gil, Loïc, Manue, Alex, Rolf, Machin, Machine,…
Je déteste quand un auteur ne trouve rien de mieux que d’intégrer cinquante mille nouveaux personnages en l’espace de deux pages alors qu’après cinq ans dans le même immeuble, j’ai toujours de la peine à retenir le prénom de mon voisin de palier. A ce moment du récit, Pennac partage son quotidien avec le lecteur qui n’est pas forcément un membre de sa famille, une proche, un ami, ou un monomaniaque qui connait la vie de l’écrivain sur le bout des doigts et peut réciter chacun de ses bouquins comme on récite l’alphabet. A défaut de créer un sentiment de proximité, cela a pour effet de m’isoler avec le sentiment d’observer, derrière une vitre bien épaisse, le quotidien de parfaits inconnus d’une culture opposée à la mienne. Un peu barbant.
Mais l’histoire est sympa, quelque peu déroutante. Peut-être trop déroutante, pas assez sympa. J’ai de la peine à accrocher totalement. Le style est charmant mais le récit manque finalement un peu de fond, ce qui me rend cette lecture pas super agréable. Plus de la moitié du bouquin, je ne sais pas vraiment expliquer de quoi il est question. Les incessants va-et-vient entre passé et présent, rêve, fiction et réalité, me font tourner la tête et perdre pied, comme dans un rêve qui part dans tous les sens et brave toute logique. J’ai l’impression que ce bouquin ne s’adresse pas à moi, simple mortelle, qui n’ai jamais côtoyé l’auteur, que ce soit dans ses cours ou son imagination.
Devrais-je à mon adolescence des souvenirs tronqués de Monsieur Pennac, une vision idéalisée? Il me faut en avoir le cœur net après cette nouvelle lecture en demi-teinte. Mes lunettes de vue vissées sur le nez, je plonge en mode spéléo entre les rayons de ma bibliothèque pour faire remonter à la surface mes vieux trésors profondément enfouis. J’ouvre le premier des bouquins juchés au sommet d’une haute pile et en lis les premières lignes. Il ne m’en faut pas davantage pour balayer tous mes doutes d’un revers de prose.
Alors peut-être ne vous conseillerai-je pas ce dernier ouvrage, mais je ne peux que vous encourager à (re)découvrir cet écrivain qui m’a tant fait vibrer dans le passé. Mes précieux souvenirs ressortis, il va donner à mes prochains week-ends d’hiver un profond goût de fruits de la passion.
Ecrire à l’auteure: amelie.wauthier@leregardlibre.com
Crédit photo: © Amélie Wauthier
Daniel Pennac
La loi du rêveur
2019
Editions Gallimard
175 pages