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Musique

Interview

Dominique A en concert à Lausanne: «Ma vision du monde est morcelée»9 minutes de lecture

par Fanny Agostino
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Dominique A © Jérôme Bonnet

Il a prêté sa plume aux plus grands (Alain Bashung, Etienne Daho, Calogero) et a sorti son quatorzième album l’an dernier. Avant de jouer ce vendredi 13 octobre aux Docks en compagnie de H-Burns, l’auteur-compositeur-interprète Dominique A a décroché son téléphone.

Le Regard Libre: Que pensez-vous de l’étiquette de «chanteur littéraire» que l’on vous attribue parfois?

Dominique A: Je l’ai bien cherchée! (Rires) Je n’en pense pas grand-chose, en fait. La première fois que j’ai entendu parler de «chanteur littéraire», c’était pour Lou Reed, donc ça me va. Après, à partir du moment où vous avez lu trois livres et que vous en parlez, vous êtes identifié comme un chanteur littéraire. C’est comme dire «chanteur intello»… Je suis ravi d’être identifié comme un être humain avec des neurones. Cela correspond à une réalité: je suis féru de littérature, j’écris de temps en temps des bouquins. Le seul petit bémol, c’est que cela met entre guillemets le travail sur la musique. Mais cela ne me tracasse pas plus que ça.

Vous avez écrit à plusieurs reprises pour d’autres artistes. Comment se déroulent ces collaborations ?

Cela dépend des cas. Souvent, ce sont des propositions qui me sont faites. L’écriture de paroles, cela concerne plus les chanteurs de variété en général. J’aime bien l’exercice. Il y a vraiment cette nécessité pour moi de me mettre entre parenthèses, de répondre aux désirs de la personne qui va interpréter les mots et les chanter. J’essaie d’être au plus près de ce que je pense qu’est cette personne-là artistiquement, en apportant mon petit grand sel. C’est un petit challenge que j’aime bien. Il y a des collaborations comme avec H. Burns [ndlr: avec qui il a joué aux Docks à Lausanne après cette interview]. Il vient me voir et me propose de co-écrire sur une musique qui est préexistante avec un sujet donné. Dans ce cas, il y a une rencontre qui se fait.

Et il y a des cas où vous vous chargez simplement de l’interprétation.

Oui, et c’est vrai que j’aime assez l’idée d’être appelé uniquement en tant qu’interprète: la chanson est cousue main et je n’ai plus qu’à poser la voix dessus. Je vais forcément ramener une façon de faire, quelques harmonies, des idées mélodiques, sans bouleverser pour autant le décor musical. C’est assez plaisant d’être cantonné à un seul rôle, que ce soit auteur de texte ou alors simple interprète, pour la chanson de quelqu’un d’autre. Les cas de figure sont très différents. Ils me permettent de naviguer d’un mode de fonctionnement à l’autre. J’en tire des enseignements pour ma propre pratique. Cela me donne des idées, ou alors cela me conforte dans l’idée qu’il ne faut pas que j’aille dans une certaine direction. C’est toujours positif.

Dominique A © Jérôme Bonnet
«Le regard que portent les gens sur le disque, il faut l’assumer au moment de sa sortie.» © Jérôme Bonnet
Une direction quil ne faudrait donc pas donner à vos propres titres ?

C’est un essai, et puis voilà, je me dis, tiens, ce n’est pas forcément ce vers quoi je vais tendre pour la suite. Si je travaille sur une chanson qui est très catchy, très pop, très évidente, ça ne va pas forcément me faire sentir que, même si le résultat me plaît, c’est ce que j’en envie de faire et vice-versa. C’est-à-dire qu’à une période donnée, je peux tendre vers des chansons relativement accessibles où j’essaie de me recoller vers une structure couplet-refrain-pont et m’apercevoir que j’ai vraiment envie de cela. Cela dépend aussi de ce que j’écoute au moment où je suis en train de composer, des disques qui m’accompagnent à ce moment-là.

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En écoutant votre dernier album, Le monde réel (2022), on a le sentiment que vous mettez en scène une position d’observateur du monde.

Je ne vais pas jouer au candide par rapport à cela. On me parle beaucoup de cette position d’observateur. Ce n’est pas quelque chose que j’ai l’intention de cultiver ou que j’avais vu venir. La tonalité des chansons et leur propos m’ont un peu dépassé. Au fur et à mesure, j’ai pris acte du fait que j’avais ce regard que je posais sur les choses, et qu’il y avait effectivement ce risque de laisser paraître qu’il y avait du surplomb derrière tout cela. J’espère que ce n’est pas le cas.  A partir du moment où le texte a bien fonctionné avec la musique, je n’ai pas voulu me poser plus de questions.

Justement, comment faire pour que des paroles conviennent à une musique?

C’est toujours très difficile. Du moment que cela fonctionne, je mets un peu de côté la façon dont cela va être interprété…au risque de mauvaises interprétations. Parfois, cela peut m’effleurer, mais je fais un peu l’autruche. Quand il y a des chansons qui ont un ton un peu moralisateur et que je m’en rends compte, je vais faire comme si cela n’était pas le cas pour parvenir au bout de la chanson, et du disque. Le regard que portent les gens sur le disque, il faut l’assumer au moment de sa sortie. Ma vision du monde est morcelée et aléatoire, comme pour tout le monde.

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Dans cet album, on perçoit des inquiétudes au sujet du climat (Dernier appel de la forêt), mais aussi la présence de problèmes de société (Nouvelle du monde lointain). Tout cela est contrebalancé par l’espoir et la résilience (Avec les autres). Comment parvient-on à gérer cet entre-deux ?

L’inquiétude, c’est le maître-mot. C’est justement moins un disque « d’observateur » qu’un disque de personne complètement flippée, tétanisée, par les enjeux. Une chanson comme Avec les autres montre un chemin très basique, je trouvais que c’était pertinent de dire les choses de façon plate également, dans un climat de friction où la parole des uns et celle des autres se piétinent. Et puis cela correspondait à mon état d’esprit. Cette chanson est la seule à avoir été écrite en studio. Elle cristallisait ce que j’étais en train de vivre avec les musiciens. C’était un pari de tous se retrouver en studio, sans n’avoir jamais joué ensemble. Le défi a été relevé et j’ai senti tout de suite que les musiciens avaient porté toutes mes chansons vers le haut, et même au-delà de ce que j’avais imaginé. J’ai eu envie de l’exprimer et cela est venu, un matin.

C’est la chanson qui porte l’espoir dans cet album?

Avec un peu de recul, je me dis effectivement qu’elle éclaircit un peu le propos, elle fait en sorte qu’on ne soit pas assommé par la tonalité des chansons en général. Le travail musical  a permis de contrebalancer l’éventuelle noirceur du reste de l’album. C’est un peu le nerf de la guerre pour moi, mais ce n’est pas forcément ce que les gens vont me renvoyer. Je pense que c’est sensible tout de même, parce que sinon, ce serait irrecevable.

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Parallèlement à votre album, vous avez également publié un recueil de poésie, Présent impossible (L’iconoclaste, 2022). Votre processus d’écriture est-il alors différent?

Bien sûr ! Dans ce livre-là, c’était vraiment jeté sur le papier, et je n’y retouchais pas. Ce sont des pensées qui m’ont traversé, une métrique aussi que je découvrais et qui était beaucoup plus libre que celle utilisée dans les chansons. L’abandon de la rime par exemple, ça me faisait un bien fou. Cela me permettait aussi d’exprimer des choses que je ne me verrais pas chanter. C’est aussi ce plaisir de travailler sur du format très court, et de se dire qu’il n’y aura rien derrière, pas de travail additionnel. Ce ne sont pas des textes dont je me dis aujourd’hui que je vais pouvoir les réutiliser un jour en chanson. C’est un travail différent, et à vrai dire, ce n’est pas un travail. C’est une vraie soupape, un espace de liberté totale par rapport à l’écriture. J’ai réécrit quelques poèmes depuis, mais la pratique s’est un peu perdue. J’y reviendrai certainement.

Ce vendredi, vous vous produirez aux Docks, à Lausanne. Quel est votre rapport avec la Suisse?

Un rapport excellent, vraiment! Il n’y a pas nécessairement plus de monde aux concerts qu’avant, mais j’ai la sensation que nos liens se renforcent avec le temps. Je n’ai pas une impression d’usure. Et puis j’ai des projets dans votre pays. Dont des concerts symphoniques avec l’Orchestre de chambre de Genève en mars prochain, avec un enregistrement à la clé. Nous faisons plusieurs passages sur la tournée actuelle: Pully, Genève et Lausanne. On va croire que c’est de la démagogie, mais le public suisse est très agréable au sens où il est ouvert et, en même temps, chaleureux. Dans certaines villes de France, les gens sont extrêmement pudiques, on ne sait pas ce qu’ils pensent. En Suisse, je trouve qu’il y a une constance dans l’accueil.

Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com

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