Paléo Festival 2019 – Lauriane Pipoz
Les Trois Accords, c’est un groupe québécois hors du commun. Formé de quatre musiciens, ce groupe de rock aux paroles délurées a le don d’offrir des albums, mais aussi des shows, qui respirent le fun et la bonne humeur. Avant leur concert au Paléo festival de Nyon, deux de leurs musiciens, Charles Dubreuil et Pierre-Luc Boisvert, ont répondu à quelques-unes de nos questions au sujet de leurs compositions originales et de leurs choix musicaux.
Cette rencontre a été l’occasion pour eux de nous signifier leur volonté de mettre à l’honneur l’humour et l’autodérision, mais aussi de souligner le fait que leurs compositions n’étaient pas réalisées «que» pour faire rire. Il s’agit avant tout de faire de la musique, une musique qui leur plaît – le rock –et leur ressemble, puisque leur but premier est de prendre du plaisir. Comme l’exprime leur dernier album, Beaucoup de plaisir (2018), et surtout comme l’a bien montré leur live du 25 juillet: sautant et s’amusant, le groupe n’a rien perdu de la superbe de ses débuts. Rencontre avec des musiciens qui aiment les spectacles, tourner et sont fiers de ce qu’ils font.
Le Regard Libre: Est-ce que vous pensez que le public du Paléo va comprendre toutes vos paroles ?
Charles Dubreuil: Il n’y a jamais eu de problème d’accent lors de nos tournées en Europe, mais parfois un problème de vocabulaire: il y a des particularités régionales, au niveau des mots ou des tournures de phrase. Mais le public nous découvre rarement en concert.
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Pourquoi le choix musical du rock avec des chansons humoristiques? Est-ce que ça se marie bien?
C.D. : Nous avons toujours voulu faire du rock’n’roll. Je ne sais pas si nous sommes humoristiques. Bien sûr, il y a des chansons qui font rire, qui font sourire, mais nous n’avons pas le désir de faire rire comme l’aurait un humoriste, par exemple. La mécanique n’est pas la même: un humoriste écrit dans le but de faire rire les gens, nous nous écrivons, nous faisons de la musique, selon un angle. Nous sommes plutôt un groupe de rock’n’roll, qui chante des chansons en français: nous nous retrouvons plutôt dans cette description. Mais pas simplement dans celle d’un groupe de rock’n’roll, mais d’un groupe de rock’n’roll francophone. Simon est tout à fait capable d’écrire en anglais – il nous l’a déjà prouvé à plusieurs reprises –, mais nous sommes plus à l’aise en français. Ca n’a rien à voir avec un choix politique, c’est juste culturel.
Pierre-Luc Boisvert: Mais si jamais nous écrivons dans une autre langue, ça ne veut pas dire pour autant que c’est la guerre. (Rires)
C.D.: Exact, c’est juste le meilleur choix stratégique pour nous, notre meilleur marché.
Le rock, c’est vraiment stratégique en ce moment?
C.D.: Vu que les Trois Accords marchent, oui! (Rires) Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. Voir différents styles en une même soirée, c’est quelque chose qui personnellement ne me dérange pas, et pareil s’il s’agit de plusieurs styles sur une même scène. Ce sont simplement des langages différents.
Comment choisissez-vous l’angle de vos chansons? Est-ce une seule personne qui compose?
P.-L.B.: Oui, c’est Simon, chanteur-auteur-compositeur. C’est notre parolier, il fait 100% des chansons! Quand à nous, on conçoit la musique les quatre gars ensemble. C’est parfois lui qui a l’idée de la mélodie, mais la forme officielle des chansons telles que vous les écoutez, c’est nous qui la faisons ensuite.
Et c’est lui aussi qui a écrit aussi Ouvre tes yeux Simon?
C.D.: Alors pour cette chanson, nous étions en studio au Québec, et Pierre-Luc et Alexandre (ndlr: le quatrième membre du groupe) ont commencé à chanter un refrain qui le critiquait sur sa propre mise en scène du spectacle. Et il a eu un flash à partir de là: c’est comme ça que nous concevons la plupart de nos chansons. La chanson s’est donc écrite à partir de cet angle – parce qu’il s’agit bien d’un angle –, que nous avons trouvé plutôt sympa: celui d’un groupe qui s’autocritique pendant que quelque chose se passe. En live, cette idée prend vraiment tout son sens: les deux gars qui chantent, Simon qui reçoit la critique, et qui explique sa position par rapport à cette critique. C’est typiquement ce genre de flash-là que Simon cherche pour débuter l’écriture de chacune de ses chansons: le but n’est donc pas seulement de faire rire les gens, nous cherchons plutôt des trucs qui sont originaux.
Et pour des paroles de chansons comme J’aime ta grand-mère?
Pour celle-là, c’est aussi vraiment un flash: c’était le flash initial, un bon flash puisqu’ensuite ça a été le thème de tout l’album. Nous l’avons déconstruit pour en faire une histoire: un jeune garçon, qui rencontre la grand-mère de son amie. On découvre ensuite avec lui tous les problèmes que ça va créer.
Dans chaque album, vous avez un angle qui est différent: est-ce que c’est quelque chose qui se forme naturellement ou est-ce que vous en discutez avant?
C.D.: Les angles, ça a commencé à partir de «Grand Champion» (ndlr: leur deuxième album) qui a été écrit sur les obsessions: ça parle de quelqu’un d’extrêmement motivé dans les différentes sphères de la vie, un grand champion. C’était encore beaucoup plus clair avec Dans mon corps, où même la pochette est en phase avec l’idée et chaque chanson parlait du corps. Maintenant, avec J’aime ta grand-mère et même encore plus avec Joie d’être gai, on a juste voulu aller vraiment ailleurs: on a fait de la musique et on s’est fait plaisir. C’est ce qui est ressorti aussi de Beaucoup de plaisir: c’était ça tout au long de nos journées en studio. Au final, on s’est rendu compte que c’était vraiment le concept de notre album: toutes les chansons tournent autour de cette idée générale.
Avez-vous toujours accepté facilement les idées de Simon, ou ça a parfois été difficile au début?
P.-L.B.: Ah, moi, j’ai parfois besoin d’explications supplémentaires! (Rires) Ca arrive qu’il m’explique un texte et que je lui dise: «Bon, O.K., mais est-ce que tu peux corriger quelques phrases?» Parce que si je ne comprends pas, ça peut arriver que d’autres mecs ne comprennent vraiment pas. C’est pas bon que des personnes ne comprennent rien aux chansons: quelques trucs peuvent bien sûr rester mystérieux, mais il faut que le message principal soit assez clair.
C.D.: C’est un devoir de clarté que nous rappelons justement maintenant à Simon. C’était quelque chose de moins nécessaire dans les deux premiers albums. Avec des thèmes plus spécifiques, c’est intéressant parfois de retourner à la table de travail pour clarifier certains points. En général, c’est plutôt facile à faire. Il n’y a qu’une fois où nous avons ressenti le besoin de s’auto-censurer: c’était une chanson qui parlait d’homosexualité. Nous n’avons pas voulu la mettre sur l’album; ce n’est pas parce que nous ne voulions pas traiter du thème, mais plutôt parce que nous ne voulions pas que le message soit détourné, par exemple dans des cours d’école. Quand nous avons sorti un album au complet là-dessus, nous avons senti que nous étions prêts à traiter vraiment le sujet. Pour nous, c’était vraiment fait dans le respect: nous avons eu l’impression que sous cette forme, les gens allaient se l’approprier d’une autre façon.
Dans la tradition francophone, il y a des moments où il y a des chansons sérieuses et des moments où les chansons sont plutôt drôles. Avez-vous l’impression qu’il y a un renouveau?
C.D.: Même si nous ne sommes pas historiens de la musique, oui, il y a des phases. Des moments où la musique est plus légère, où la musique sérieuse va passer pour presque snob. C’est vraiment des cycles de coolness: ce qui est cool change avec le temps.
Entretien réalisé en collaboration avec Jonas Follonier.
Ecrire à l’auteur: lauriane.pipoz@leregardlibre.com
Crédits photo: © Paléo / Lionel Flusin
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