Cela peut sembler une phrase banale, en mode «il n’y a pas de chaud sans froid», mais rappeler qu’il n’y a pas de mensonge sans vérité a le mérite de ramener sur la table un fait trop ringardisé aujourd’hui dans certaines sphères intellectuelles: la vérité existe. Un énoncé à faire bondir tout sociologue du moment, ou presque, mais qui n’en demeure pas moins vrai. Ah, le mot est lâché!
Si la vérité n’existait pas, il ne serait même pas vrai que la vérité n’existe pas. Donc, il serait à la fois vrai et faux que la vérité n’existe pas. On voit bien le problème: une telle idée viole le principe logique de non-contradiction.
Sans vérité, il n’y aurait pas non plus de fausseté. En effet, il ne serait jamais vrai que quelque chose est faux, comme l’a relevé le professeur émérite de philosophie Richard Glauser lors de sa leçon d’adieu à l’Université de Neuchâtel en 2018. Donc, plus d’erreurs. Ni d’enquêtes policières ou journalistiques. Ni, vous l’aurez compris, de mensonges. Notre dossier du mois serait sans objet.
Sans vérité, pas de croyances ni de savoirs
Et ce n’est pas terminé: sans vérité, non seulement on ne pourrait plus rien savoir de faux, mais on ne pourrait plus rien savoir… tout court. Cela, pour la simple raison que savoir quelque chose, c’est savoir que cette chose est vraie. Il ne serait même pas possible de croire à une chose ou de supposer quoi que ce soit, puisque ce serait croire ou supposer que cette chose est vraie. Aïe ! Il se trouve que nous passons une partie significative de notre temps – cérébral – à croire que ceci ou que cela. Ou à nous demander si une chose est vraie ou non.
Sans vérité, pas de science non plus. Pas parce que la science produit du savoir, mais plus précisément parce que ce savoir se définit par la réfutabilité: on doit pouvoir réfuter une thèse pour qu’elle soit scientifique. C’est ainsi qu’avance la connaissance. Il est donc aberrant d’entendre des universitaires – pour certains issus de disciplines censées être des sciences, ce qui est un comble – déclarer, d’un air se voulant sans doute spirituel, que «de toute manière il n’y a pas de vérité».
Il y aurait «des vérités». C’est-à-dire?
Or, si vous leur servez le genre d’arguments simples que nous venons d’énumérer, ils vous répondront peut-être que ce qu’ils voulaient dire, c’est qu’il n’y a pas une vérité, mais plusieurs vérités. Alors de deux choses l’une: soit il y a plusieurs vérités au sens où plus d’une chose est vraie, soit il y a plusieurs vérités au sens où une chose pourrait être vraie pour un individu et fausse pour un autre. Dans le premier cas, on n’aura rien appris de spécial: oui, il y a plusieurs choses qui sont vraies, la vérité étant une propriété de nombreuses phrases, thèses, idées, énoncés… Dans le second cas, on devra rappeler, avec Aristote, qu’une chose ne peut être à la fois vraie et fausse en même temps et sous le même rapport. Exemple: le rythme de parution du Regard Libre est lent par rapport à un quotidien, mais rapide par rapport à un semestriel. Mais dire que le rythme du Regard Libre est à la fois lent et rapide «dans l’absolu» revient à se contredire.
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Gare, donc, à jouer les intelligents en snobant la notion de vérité: ayons l’humilité de reconnaître son importance de base dans toute activité mentale. Cela n’implique pas qu’il soit toujours facile de déterminer ce qui est vrai et ce qui est faux. Le scepticisme est peut-être la deuxième humilité à avoir, justement. Se montrer curieux et critique, toujours. D’ailleurs, bonne lecture!
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
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Image: © Dessin de Nathanaël Schmid pour Le Regard Libre