Les lundis de l’actualité – Clément Guntern
L’un des derniers chapitres de la guerre en Syrie qui dure depuis sept ans s’apprête à s’ouvrir. L’armée du régime syrien qui a réussi à réduire toutes les poches qui résistaient à son autorité envisage désormais de s’attaquer au dernier bastion rebelle au nord-ouest du pays, dans la région d’Idbilb qui touche la frontière turque.
A l’intérieur, on estime la population à environ trois millions dont, selon certains experts, 20’000 à 30’000 combattants. Le gouvernorat d’Idbilb fut dès le début une des régions dont l’opposition à Bachar El-Assad fut la plus importante. La stratégie de Damas et de ses alliés russes et iraniens, et avec le soutien occidental, consistait, une fois une offensive lancée dans une région, à désolidariser les combattants de la population locale comme dans la Ghouta orientale, puis de proposer aux opposants armés de rejoindre la région d’Idbilb. Pour certains, le but était d’éviter des combats trop longs et trop sanglants et pour d’autres de reprendre la main le plus rapidement possible sur des régions stratégiques.
Le gouvernorat d’Idbilb s’est vite transformé en «poubelle» des opposants selon les termes des proches du président Assad. La composition de ces combattants n’est pas homogène. On y retrouve à la fois des restes de l’Armée syrienne libre et des djihadistes de l’organisation issue autrefois des rangs d’Al-Qaida. Et surtout, on ne dénombre aucuns éléments de l’organisation Etat islamique. Cette région du nord de la Syrie reste le dernier obstacle avant d’atteindre l’objectif fixé par Vladimir Poutine et ses acolytes qui est d’éradiquer les mouvements djihadistes. Pourtant, la solution militaire finale que veulent mettre en place les parrains de la Syrie risque de rencontrer quelques écueils, principalement la Turquie.
Le trio syrien, russe et iranien va certainement devoir s’accommoder des intérêts trucs fortement présent le long de sa frontière. Pour rappel, lors d’opérations successives, Ankara a mis en place une zone d’influence non loin du gouvernorat d’Idlib avec une présence militaire qui y a chassé les combattants kurdes. Une présence militaire turque à Idlib même a été signalée et un risque d’affrontements directs entre les soldats turcs et les assaillants ne serait pas négligeable. Ainsi, une intervention du régime syrien dans la province serait une menace pour Ankara parce que la Turquie y soutient des rebelles mais aussi parce que de nouveaux réfugiés risquent d’arriver dans le pays qui a déjà accueilli 3,5 millions de Syriens. Il va falloir donc faire avec les objectifs turcs qui sont leur participation au règlement global du conflit, éviter une contagion djihadiste sur son territoire et contenir les Kurdes. Pour porter le coup fatal, la Russie a besoin de la Turquie pour que ce soit également une victoire politique et non seulement militaire.
Cependant, une prise de la province rebelle ne signifierait pas pour autant la fin des questions autour de la Syrie. Comme il fut souvent le cas dans des guerres menées par procuration, la Syrie risque bien de se retrouver coupée en zones d’influence. Les Turcs au nord mais aussi les Russes et les Iraniens qui ne sont pas intervenus uniquement pour les beaux yeux de Bachar El-Assad mais bien pour avoir des retours sur investissements, vont encore se quereller autour de la dépouille syrienne.
Même si les grands gagnants n’ont pas encore totalement solidifié leurs acquis, les perdants, eux, sont bien connus. Le peuple syrien n’en a pas fini de souffrir dans son pays en ruine. D’autant plus que la question de la reconstruction s’est déjà invitée sur la table des négociations et qu’elle se révèle tout autant complexe que la guerre. Les Russes et les Iraniens n’ont tout simplement pas les moyens nécessaires pour la reconstruction dont les coûts s’élèveraient entre 250 et 1000 milliards de dollars. Ce sont les Européens principalement, les Etats-Unis et la Chine ensuite qui sont les seuls à en avoir les moyens, mais ceux-ci ne veulent pas faire de dépenses sans contreparties démocratiques de la part de Damas. C’est bien la dernière carte en main pour les Européens et ils ne vont pas la lâcher si facilement. Une chose est sûre, les Syriens vont continuer de payer les conséquences de cette guerre civile encore très longtemps.
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