Le Regard Libre N° 68 – Jonas Follonier
L’an dernier, l’avocat, écrivain et désormais académicien français François Sureau publiait chez Gallimard son tract Sans la liberté. Avec cet essai au titre fort, l’auteur y peignait et dénonçait une société – la société française actuelle – ayant perdu peu à peu son Etat de droit. Une société «sans la liberté», qui lui faisait froid dans le dos et qui trouverait pour seule issue favorable un amour retrouvé pour la liberté politique. S’il est intéressant de se replonger dans ce texte pour un éditorial, c’est que, justement, il trouve des résonances évidentes avec notre société, la société suisse, et, de manière encore plus marquante, avec ce que la gestion actuelle de la crise nous fait traverser.
Voici comment Sureau résumait la situation au début de son écrit de cinquante-six pages:
«Que les gouvernements, celui d’aujourd’hui comme les autres, n’aiment pas la liberté, n’est pas nouveau. Les gouvernements tendent à l’efficacité. Que des populations inquiètes du terrorisme ou d’une insécurité diffuse, après un demi-siècle passé sans grandes épreuves et d’abord sans guerre, ne soient pas portées à faire le détail n’est pas davantage surprenant. Mais il ne s’agit pas de détails. L’Etat de droit, dans ses principes et dans ses organes, a été conçu pour que ni les désirs du gouvernement ni les craintes des peuples n’emportent sur leur passage les fondements de l’ordre politique, et d’abord la liberté.»
Si l’homme de loi accorde tant d’importance à ce rapport entre la population et le parlement, d’une part, et le gouvernement, d’autre part, c’est que, comme il l’écrit, «nous sommes des citoyens avant d’être des électeurs.» Or, nous l’avons oublié. Nous avons oublié que nous sommes des êtres libres – de nous exprimer, de nous déplacer, d’entreprendre – avant d’être des électeurs de personnalités qui ont tendance à décider de nos devoirs plutôt qu’à défendre nos droits. Ça ne vous fait pas penser à l’actualité? Nous avons également oublié que la liberté politique est l’affaire des autres autant que de soi-même. D’où cette insupportable attitude des ronchons du covid, souvent des retraités ou des fonctionnaires comme l’a relevé l’écrivain Jean-Michel Olivier sur Facebook, critiquant les préoccupations des jeunes qui veulent vivre, des indépendants qui veulent survivre. C’est exactement comme le «moi je n’ai rien à cacher» quand on parle de protection des données.
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Sureau écrit plus loin: «l’article 16 de la Déclaration dispose que ‘‘toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.’’ Ce texte, comme la plupart de ceux de notre époque, mêle l’optimisme quant aux citoyens – jugés capables de discernement et d’action – et le pessimisme quant aux gouvernants – jugés portés à abuser des pouvoirs et méconnaître les droits. Ces deux propositions tendent à s’inverser ces jours-ci.»
La manière de communiquer de nos dirigeants – nous ne dirons jamais à quel point c’est cela qu’ils ont le plus raté – a consisté il y a quelques semaines à dire à quel point les cantons n’avaient pas été assez stricts et les jeunes assez responsables. Quant au Suisse lambda, c’est souvent «chapeau Berset, respect». Et ne rappelons même pas avec quel bâillement blasé le parlement a accueilli la dépossession provisoire de ses pouvoirs… Etre attentif au caractère plus-que-provisoire que pourraient prendre les dispositifs liberticides et anti-parlementaires actuels, voilà qui pourrait bien être une honnête occupation pour le citoyen suisse.
François Sureau nous aura avertis.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
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