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L’Arménie va-t-elle disparaître?5 minutes de lecture

par Matthieu Levivier
2 commentaires
La cathédrale Sainte-Etchmiadzin, siège de l'église apostolique arménienne et plus ancien édifice chrétien en Arménie © Matthieu Levivier pour Le Regard Libre

Dans un livre récent, L’Arménie va-t-elle disparaître?, le journaliste français Frédéric Pons souligne les racines religieuses du conflit entre le pays du Caucase et son voisin azerbaïdjanais.

«J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait.» Par ces propos, tenus suite à la victoire de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh – enclave arménienne d’identité chrétienne située en Azerbaïdjan – en 2020, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev reléguait les Arméniens au rang d’animaux. De quoi illustrer la brutalité d’un conflit dont le fil conducteur est intimement lié à la religion.

Dans L’Arménie va-t-elle disparaître?, paru en 2023, le grand reporter français Frédéric Pons illustre de façon très documentée la menace d’une invasion azérie sur l’Arménie. Il met en exergue la dimension ethnoreligieuse du conflit, souvent ignorée par l’opinion publique occidentale, alertée pourtant par la politique expansionniste de l’Azerbaïdjan. Aux confins de l’Europe et du Moyen-Orient, poste avancé du Christianisme, l’Arménie est pour Pons un «miroir de l’essentiel» tendu aux Européens.

Les raisons de l’amitié franco-arménienne

Par son histoire, la France – souvent appelée «fille aînée de l’Eglise» – entretient naturellement une proximité de cœur avec l’Arménie, première nation chrétienne. Ayant adopté le christianisme en l’an 301, le pays du Petit Caucase a conservé son identité religieuse envers et contre tout: «Les habitants de la petite République d’Arménie souffrent et résistent, écrit Pons, parce qu’ils savent que, avant eux, les générations précédentes ont, elles aussi, éprouvé des souffrances terribles, des désespoirs immenses.» Les invasions successives en ont fait un peuple d’exil. La diaspora arménienne dans le monde est estimée à douze millions de personnes, soit le quadruple de la population présente sur le territoire arménien. Les quelque 600 000 Arméniens d’origine que compte la France – dont 400 000 nés en France – jouent ainsi un grand rôle dans la proximité entre les deux pays.

«L’Arménie est placée sur une ligne de défense avancée des valeurs européennes, comme cela fut le cas pour le Liban, dans les années 1970-1980, lorsque la chrétienté libanaise, dans toutes ses composantes, faillit disparaître», souligne Pons. D’où son expression de «miroir de l’essentiel» tendu à l’Europe, pour désigner un pays qui est désormais un poste avancé de la civilisation et de la conscience européenne. Faute de soutien de l’Etat français à l’heure actuelle, les défenseurs de l’Arménie alertent l’opinion en leur propre nom. A l’image de Laurent Wauquiez, président du parti Les Républicains, dont Pons cite quelque part un propos marquant: «L’Arménie est attaquée parce qu’elle est chrétienne (…). On cherche à affamer un peuple pour le chasser de ses terres ancestrales, à détruire sa culture, son patrimoine et son futur.»

Des airs de croisade

Face à l’Arménie chrétienne, l’expansionnisme azéri prend une teinte résolument religieuse. Suite à la victoire azérie de 2020, le Haut-Karabakh est devenu un lieu d’oppression pour ses habitants chrétiens. De nombreuses églises ont été désaffectées – au mépris de leur histoire millénaire – et transformées pour certaines en dépôts à munitions. «Les brimades se multiplient […]. Les militaires azerbaïdjanais ont reçu l’ordre de bloquer l’accès des pèlerins arméniens à certains lieux de culte, notamment au célèbre monastère de Davidank. […] Le prétexte d’interdiction fut le risque de contamination à la Covid-19. Il y eut ensuite un danger de glissement de terrain.»

Le cimetière militaire de Yerablur, dédié aux militaires décédés lors de la guerre du Haut-Karabakh. 
© Matthieu Levivier pour Le Regard Libre

La campagne opérée par l’Azerbaïdjan frappe également par son caractère obscurantiste. La destruction de cimetière fait office d’ignoble stratégie de guerre visant le piétinement de l’identité arménienne et l’effacement de son passé. Une stratégie déjà utilisée en 2006 lors de la destruction du cimetière de Djoulfa. Seul le Times s’émouvait alors qu’«un cimetière médiéval considéré comme l’une des merveilles du Caucase a été effacé de la Terre dans un acte de vandalisme culturel assimilé aux Talibans, qui ont fait exploser les Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan en 2001.»

Les intérêts supplantent le sacré

«Complaisance», «lâchage», «reniement»: Frédéric Pons ne mâche pas ses mots à l’égard de l’Occident et en particulier de l’Union européenne (UE), trop heureuse de pouvoir importer le gaz azéri, substitut du gaz russe depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022. Par ailleurs, au sujet du European Peace Facility (EPF), aide financière de l’UE octroyée à plusieurs pays dont l’Ukraine, «Bruxelles a rejeté la demande de l’Arménie, invoquant la sensibilité du conflit avec l’Azerbaïdjan et la neutralité de l’UE. Cette neutralité ne se vérifie pourtant pas en Ukraine», comme l’explique Pons.

Peut-être faut-il malheureusement attendre, suggère-t-il, une invasion à grande échelle du territoire arménien pour que l’UE joue enfin son rôle. Une invasion qui se dessine un peu plus chaque jour, selon le grand reporter: «Caillou dans la babouche turque», l’Arménie chrétienne prise dans la tenaille islamique turco-azérie est promise au feu.

Nul n’ignore la dimension sacrée de la résistance arménienne face à ses ennemis, mais certains préfèrent l’ignorer à des fins mercantiles. Frédéric Pons regrette que l’Occident «regarde ailleurs», mais assure qu’il n’y a pas là de fatalité. Les soutiens de l’Arménie, peu nombreux mais bruyants, luttent ainsi quotidiennement pour sa défense. Ainsi du député européen François-Xavier Bellamy qui, en avril 2021, rappelait l’UE à son devoir: «Si l’UE tient réellement aux principes dont elle se revendique, et comprend ce qui se joue ici pour son propre avenir, elle n’a pas le droit de sombrer dans le déni.»

Ecrire à l’auteur: matthieu.levivier@leregardlibre.com

Vous venez de lire un article tiré de notre dossier SACRÉ, publié dans notre édition papier (Le Regard Libre N°106).

Frédéric Pons
L’Arméenie va-t-elle disparaître?
Artège
Novembre 2023
227 pages

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2 commentaires

Zryd Jean-Pierre 26 mai 2024 - 9 09 08 05085

Vous oubliez le rôle central de la Russie dans le soutien à l’Arménie. Le changement de politique du gouvernement arménien qui a décidé de se tourner vers les USA est crucial. L’UE a applaudi et n’a plus d’état d’âme, dans une Arménie devenue un simple pion dans la politique américaine d’encerclement de la Russie, que faire. Le problème de l’influence russe étant résolu, il n’est plus question de mettre des gants, l’Azerbaïdjan pétrolier devient l’interlocuteur favori. L’Arménie n’est pas morte, elle est courageuse, elle est simplement abandonnée par l’Occident et par une Russie embourbée en Ukraine.

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Matthieu Levivier, Paris 9 juin 2024 - 20 08 41 06416

Merci pour votre retour ! L’article se focalise sur l’angle religieux de l’analyse de Frédéric Pons mais je suis tout à fait en phase avec votre analyse. Les manifestations de mi-mai à Erevan montrent d’ailleurs que le gouvernement de Nikol Pachinian est extrêmement fragilisé par ses choix politiques qui ont participé, avec l’invasion de l’Ukraine, au détournement de la Russie.

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