Que peut la littérature pour les vivants? Dans un texte inclassable, entre récit et essai littéraire, Tanguy Viel tente de capter des pensées fugaces afin de les allonger sur les pages de son nouvel ouvrage, Vivarium.
Bon nombre d’écrivains et de philosophes se sont déjà demandé si la vérité se trouvait dans les livres. Ceux-ci parviennent-ils à dépeindre correctement la vie, la réalité vécue? Tanguy Viel s’est à son tour saisi de cette question, lentement, en s’attardant sur les mots.
Le sens des choses
Les mots ont chacun un sens propre, qui leur est donné par les dictionnaires, mais plus encore par l’usage qu’on en fait dans la langue courante. Trop utilisé, un terme peut s’user et perdre son sens. Tanguy Viel décrit bien ce sentiment, qui s’apparente à l’étrange sensation qui nous saisit lorsque nous prononçons un mot trop de fois de suite, si bien qu’il en perd sa signification.
«Pendant longtemps je n’ai su nommer aucun arbre ni aucune plante. Pendant longtemps je me suis accommodé de ce vide et j’ai vécu comme tout le monde parmi les noisetiers, les chênes ou les charmes, dans le silence de leur nom – le silence lexical […].»
Le pouvoir de la littérature consisterait donc en ceci qu’elle lie les mots aux choses tangibles en formant des phrases et connecte des individus entre eux, par un jeu de transmission. L’auteur soulève un élément important, celui qui fait de la littérature un médium. Elle permet de mettre en relation des personnes sans égard à l’époque où ils vivent. Le texte survit aux hommes et transcende ainsi le temps, selon lui. La notion de temporalité est fondamentale. Dans un mode de vie qui s’accélère, les œuvres écrites apparaissent comme une source de stabilité.
Entre littérature et monde réel, une vitre plus ou moins opaque
Si Tanguy Viel reconnaît en la littérature un puissant outil de communication, il s’interroge tout de même sur sa porosité avec le «vrai» monde, celui qui occupe notre quotidien. La littérature ne se répond-elle finalement qu’à elle-même ou franchit-elle la limite de la fiction pour s’inscrire dans la matérialité?
Pour illustrer son propos, l’auteur prend l’exemple du voyage en train, qu’il conçoit comme un moment où il peut se reconnecter au monde. Pour lui, il est impossible de lire dans un train, il est toujours happé par le paysage qui défile, par ce qui se passe autour de lui:
«(…) alors c’est que ma vérité la plus profonde, ma vérité la plus intérieure ne se trouvait pas dans les livres mais bien à l’extérieur, de l’autre côté des vitres et que le seul vrai grand livre que je rêvais de lire, il n’avait pas besoin de cette forêt de phrases enchevêtrées (…).»
Vivarium est ainsi une navigation entre des réflexions et des références littéraires bien choisies. Dans un phrasé au goût iodé qui rappellent ses origines bretonnes, l’auteur démontre que ce qui, en définitive, sépare la littérature du monde réel, est que la première peut être contrôlée, alors que le second échappe pour une grande part à la maîtrise de l’être humain.
Ecrire à l’auteure: chelsea.rolle@leregardlibre.com
Vous venez de lire une critique en libre accès, contenue dans notre édition papier (Le Regard Libre N°106). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!
Tanguy Viel
Vivarium
Les Editions de Minuit
Mars 2024
144 pages