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Suisse

Tribune

2024, un gâchis pour la politique suisse de santé et de retraites6 minutes de lecture

par Darius Farman
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«Les débats qui ont eu lieu en 2024 rappellent l'histoire des trois petits cochons: par facilité, parce que "nous avons toujours fait comme ça", nous avons bâti des projets politiques de paille sans anticiper le loup qui allait les balayer.» Photo: DR

La réalité démographique a été la grande absente des débats politiques de l’année écoulée en matière de prévoyance ou de coûts de la santé. Il est temps de rénover notre Etat social sur la base d’une vision cohérente et de long terme.

Assurance vieillesse et survivants (AVS), 2e pilier, coûts de la santé… quel bilan tirer de la super-séquence politique qu’a connue la Suisse en matière de prévoyance et de santé cette année?

Malheureusement, pas grand-chose. Les débats qui ont eu lieu en 2024 rappellent l’histoire des trois petits cochons: par facilité, parce que «nous avons toujours fait comme ça», nous avons bâti des projets politiques de paille sans anticiper le loup qui allait les balayer. Ce loup, inexorable, impérissable (contrairement à ceux sur lesquels Albert Rösti a autorisé le tir, mais c’est un autre sujet), cette menace qui pèse sur notre Etat social, c’est évidemment la démographie.

Redresser la barre avant le naufrage

Posons le décor: nous savons que le vieillissement de la population alourdit les deux principales dépenses de l’Etat social, les retraites et la santé. En 1924, 6% de la population avait 65 ans et plus. Cent ans plus tard, ce chiffre est passé à 20%. Sans surprise, c’est dans cette phase de vie que les frais de santé prennent l’ascenseur. Ce cinquième de la population de 65 ans et plus contribue ainsi à 45% des coûts de la santé.

Le nombre de personnes actives par personne retraitée, appelé le ratio de dépendance, raconte une histoire similaire; il passe de 6,3 à l’introduction de l’AVS en 1948 à 3,2 en 2019. Et la tendance continue de plus belle. Certes, les femmes ne cotisaient pas au moment de l’introduction de cette assurance sociale. Toutefois, le nombre de cotisants par rente à verser est passé de 3,5 en 1975 à 2,4 à 2021, comme l’avait déjà documenté Le Regard Libre.

Bref: notre paquebot social est en train de piquer du nez, lentement mais sûrement.

Payer plus ou recevoir moins

Deux actions sont possibles pour remettre notre Etat social à flot: baisser les coûts et/ou augmenter les recettes. Ce constat peut paraître simpliste, mais il met en évidence un fait trop souvent escamoté dans le débat: la fontaine de Jouvence à même d’arrêter le vieillissement n’existe pas. Qu’on le veuille ou non, le tsunami des baby-boomers à la retraite arrive. Toute mesure, aussi créative soit-elle, doit agir sur un de ces deux leviers.

Le schéma ci-dessus illustre les principales options à notre disposition. Baisser les coûts est possible en diminuant les prestations ou en diminuant l’éligibilité. Pour les retraites, cela passe par exemple par une baisse des rentes ou une augmentation de l’âge de référence pour le départ à la retraite.

La hausse des recettes répond à la même logique. Trois leviers sont possibles. Aucun n’est évident. Le premier levier est l’accroissement des contributions, primes d’assurance-maladie, cotisations salariales ou impôts. Le second levier est l’augmentation du nombre de personnes qui contribuent par une stimulation de la croissance démographique. Cela passe par l’immigration ou par des politiques natalistes. Plus indirect, le troisième levier est une politique favorisant la croissance économique. Mécaniquement, l’augmentation du niveau des salaires accroît aussi les contributions à l’Etat social. La chaîne de causalité est néanmoins plus longue et incertaine.                    

Bien sûr, la créativité est permise; d’autres mesures encore peuvent être imaginées, à l’instar de la proposition de la Conférence latine des affaires sanitaires et sociales d’organiser un financement séparé des coûts de la santé du quatrième âge. Il n’empêche: à la fin, les coûts devront être couverts.

Bientôt sur la paille

Petit problème: aucune majorité politique ne se dessine pour une combinaison permettant de redresser le système social suisse. Certaines mesures semblent inimaginables dans la Suisse libérale – songeons par exemple à des politiques natalistes. D’autres, comme l’ajustement continu des primes d’assurance-maladie, sont la cible d’une fronde croissante.

Loin de régler le problème, le peuple a surchargé la barque en adoptant une 13e rente AVS sans s’accorder sur un financement correspondant. De fait, le feuilleton de cette rente additionnelle en dit long sur le mal profond qui nous accable: notre incapacité collective à saisir un enjeu dans son entièreté et à construire des alternatives politiques cohérentes. Une incapacité pas loin de frôler parfois le déni de réalité.

Augmenter les rentes sans toucher à l’âge de la retraite, aux cotisations salariales ou au nombre de personnes cotisant activement, ce n’est pas cohérent.

Réduire l’immigration vers la Suisse en voulant garder son Etat social tel quel, ce n’est pas cohérent.

Réduire la part des impôts soutenant cet Etat social sans la substituer par d’autres sources de financement ou des coupes nettes assumées, ce n’est pas cohérent.

C’est en cela que cette année 2024 a été décevante: le plus clair des projets soumis à votation sont autant de maisons de paille isolées, pensées à court terme sans prendre en compte ni les contraintes extérieures, ni les besoins de l’avenir.

La redistribution ne résout pas le problème de fond

A ce moment de la discussion, il est fréquent d’entendre s’exclamer: «C’est simple, il suffit de taxer les riches!»

Si l’on peut s’émouvoir (et c’est mon cas) que les contributions aux coûts de la santé ne soient pas davantage dépendantes du revenu, la mutation profonde et durable de notre pyramide des âges ne peut pas être compensée par la seule hausse de contribution des  riches» (quoi que cela veuille dire).

Certes, le «qui paie?» sera un débat politique important en Suisse pour la refondation de son Etat social. TVA ou cotisations salariales: la polémique sur le financement de la 13e rente en est un exemple parlant. Malgré tout, il s’agit d’un débat subsidiaire à la question principale, qui reste: quel Etat social voulons-nous et sommes-nous prêts à le financer, dans le contexte d’une société vieillissante?

Revenir à une méthode éprouvée

S’agissant de la cohérence, les appareils de parti pourront rétorquer: «Mais nous proposons une alternative politique cohérente!», et ils auront raison. Mais puisque le Grand Soir de la majorité absolue n’est pas près d’arriver, il faut revenir à une méthode éprouvée de la politique suisse: le compromis. Or, de compromis, nous n’en avons pas vu beaucoup dernièrement en matière de politique sanitaire et sociale.

Etait-il nécessaire de faire passer l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes sans y joindre quelques-unes des nombreuses mesures sur la table pour avancer l’égalité de fait, afin de rallier l’autre camp?

Etait-il nécessaire de proposer une réforme indispensable du 2e pilier (LPP), sans la combiner avec davantage de mesures remédiant à la sous-activité des femmes sur le marché du travail? La réforme de la déduction de coordination était certes un pas dans la bonne direction, mais effleurait à peine les racines du problème. Notre aptitude à bâtir des projets béton pour notre Etat social dépendra pour beaucoup de notre capacité à ficeler des paquets de réforme acceptables, transcendant des guerres de tranchées partisanes dont une part grandissante de la population se lasse. C’est probablement à cette condition que l’histoire des trois petits cochons connaîtra un dénouement heureux.

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