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Suisse

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Soupçons de fraude électorale: gare aux fausses bonnes idées4 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Palais fédéral, à Berne. Photo: Alexey M. (via Wikimedia), sous CC 4.0

La récolte rémunérée de signatures a le défaut de favoriser les acteurs qui ont le plus de moyens. Or interdire cette pratique aurait des conséquences encore pires qui éloigneraient davantage la démocratie directe à la suisse de son esprit originel.

L’affaire a fait grand bruit cette semaine. Selon les journaux du groupe Tamedia, des falsifications dans les signatures remises à la Chancellerie fédérale pour certaines initiatives populaires auraient été organisées à grande échelle par des agences commerciales. Il est compréhensible que de nombreuses voix aient réclamé de changer les règles. Or, il n’existe pas de solution parfaite. Et certaines alternatives proposées pour améliorer le système actuel empireraient même les choses.

C’est le cas de la proposition formulée notamment par la gauche d’interdire les récoltes rémunérées. En effet, cette fausse bonne idée aurait pour conséquences de favoriser les partis et autres syndicats qui, du fait de leurs ressources humaines et financières, sont déjà surreprésentés aujourd’hui dans les faiseurs de votations. Ces organismes pourraient continuer d’envoyer leurs troupes à la chasse aux paraphes dans la rue pendant leurs heures de travail. Or, le référendum et la votation populaire ont justement été introduits pour les citoyens, pas pour les structures politiques. Leur accorder un quasi-monopole de fait reviendrait donc à s’éloigner encore plus de l’esprit originel des outils de démocratie populaire.

Réduction de la démocratie

De façon plus générale, renforcer les contrôles – quels que soient les moyens utilisés – reviendrait à restreindre d’autant les occasions pour le peuple de s’exprimer sur des thèmes. Or, l’idée-force de la démocratie directe et qu’il n’y a pas de mauvais sujet. Il est toujours bon que le peuple se prononce un dimanche de votations. Celui-ci se précède de plusieurs semaines ou mois de discussions publiques, dont chacun peut juger de la qualité, et y contribuer. En définitive, c’est à chaque fois le Souverain qui s’exprime en son âme et conscience sur un texte bien précis. Le débat d’idées prime sur les méthodes des initiants ou des référendaires. Et c’est bien heureux.

En l’occurrence, il faut se réjouir qu’une procédure ait été ouverte par le Ministère public de la Confédération. Nous saurons ainsi le fin mot de l’histoire, ce qui aura une incidence sur la réputation des fautifs présumés. Les votations où des tricheries dans les signatures avaient été signalées n’ont pas été acceptées par les votants. Cela montre que le système actuel peut fonctionner, que les médias ont un rôle important à jouer dans une société démocratique et que le Conseil fédéral doit se montrer davantage pro-actif dans sa communication. Les méfaits dont il est question, s’ils sont confirmés, sont cependant déjà punis par le Code pénal. Nul besoin de régulation supplémentaire!

Nombre de signatures en question

Quant à la numérisation du système, gare à y voir également une panacée. Cela reporterait simplement le problème à un niveau moins physique. Les risques de piratage ne sont pas à négliger. La Poste, mandatée par la Confédération, n’a pour l’heure pas réussi à proposer un dispositif de vote numérique satisfaisant. On pourra parler autant qu’on voudra d’un cénacle indépendant composé d’entreprises privées spécialisées, assurant le fonctionnement et la sécurité d’un système de récolte de signatures dématérialisé, une telle hypothèse signifiera nécessairement une surveillance accrue de nos données privées.

De plus, obtenir des signatures numériquement est plus facile que dans la rue. De ce fait, le problème du nombre de signatures requis se pose. Lorsque l’initiative populaire a été introduite dans la Constitution fédérale en 1891, le nombre de signatures nécessaires pour qu’une initiative soit soumise au vote a été fixé à 50’000 (soit près de 8% de l’ensemble des électeurs d’alors). Lors de l’introduction du droit de vote des femmes en 1978, ce seuil a été doublé à 100’000. Ce nombre encore en vigueur aujourd’hui témoigne donc d’une réalité du XIXe siècle, alors que le corps électoral a entre-temps quadruplé. Ce débat, déjà présent dans le pays, s’imposera encore plus fortement avec la récolte numérique des signatures. Si le nombre requis n’est pas revu à la hausse, la légitimité des scrutins s’en trouvera amoindrie aux yeux de certains citoyens. Et s’il est revu à la hausse, cela reviendra à réduire la démocratie directe, la voix d’un individu valant moins qu’aujourd’hui. Gare donc aux fausses bonnes idées. Il vaut parfois mieux actionner jusqu’au bout les leviers déjà à disposition plutôt que d’en créer de nouveaux.

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

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