Les élections européennes de mai dernier ont été à nouveau l’occasion pour les différents partis de faire croire à leur volonté de «réformer l’Union européenne». C’est bien beau, mais il est permis de douter. Sur les douze candidats d’un débat télévisuel français, tous ont appelé à plus de protectionnisme au sein d’une Union jugée «ultralibérale», «néolibérale» ou tout simplement «libérale», un mot qui suffit à l’insulte dans un pays qui pourtant mériterait une bonne douche de libération de l’économie, de redimensionnement des services publics et de baisse des impôts. Et si, au lieu de dénoncer le libre marché sur lequel s’est construite une UE certes imparfaite, on reconnaissait qu’il s’agit là du meilleur système économique qui soit tout en affirmant que le problème est ailleurs, à savoir au niveau civilisationnel?
Au fond, le grand défaut de la construction européenne n’est pas le libéralisme de son système économique, c’est le caractère exclusivement économique de son système. Il faudrait être un libertarien dénué de tout pragmatisme pour s’imaginer qu’une simple ouverture du marché et des frontières suffit à créer une communauté politique inter-étatique qui soit aussi une communauté de destin. La vérité est que, telle que l’Union européenne se manifeste actuellement, il n’y a de communautés de destin que nationales. Mais pourquoi, me diriez-vous, parler de destin? N’est-ce pas un concept vague propre aux philosophes?
Le tragique est une dimension essentielle de la vie, de la vie des hommes comme de celle des entités politiques dans lesquelles ils s’inscrivent. On sait depuis Paul Valéry que les civilisations sont mortelles, mais on sait depuis que les civilisations existent que celles-ci ont un destin. Le simple fait qu’il existe des civilisations devrait déjà nous alerter, dans un monde où les diverses menaces de mort nous sont de plus en plus connues du fait de la mondialisation et du partage rapide de l’information. Les attaques des groupements terroristes dont l’Etat islamique, l’épuisement des ressources naturelles, la montée des puissances mondiales, autant de problèmes mondiaux qui exigent une communauté de destin.
Que serait une Union de destin? Ce serait une union qui se définit par des valeurs avant de se définir par des principes économiques et des normes techniques et juridiques. Les droits de l’Homme, l’Europe peut en être fière – moins de ses dérives, naturellement. Or, au-delà de l’aspect juridique, les droits de l’Homme sont la manifestation d’une histoire particulière, celle d’une famille de peuples occidentaux qui a été l’origine d’une grande idée: la liberté. Idée ancestrale s’étant manifestée politiquement pour la première fois chez les anciens Grecs, présente à sa façon dans la conception chrétienne du Moyen Age européen et réhabilitée enfin par l’universalisme français et les Lumières britanniques sous fond de droit romain, la liberté comme concept civilisationnel est née en Europe.
Paul Valéry, encore lui, avait défini comme européen tout peuple ayant été hellénisé, romanisé et christianisé. Dommage que l’on doive s’appeler Eric Zemmour pour le rappeler. A gauche comme à droite, chez les adeptes du progrès comme chez les amoureux de la préservation, cette idée d’esprit public européen devrait animer toutes les âmes. Les socialistes qui se sont attelés à montrer l’urgence d’un tel travail sur l’histoire commune, à l’image de l’eurodéputé français Vincent Peillon, n’ont pas su trouver appui dans leur propre camp; les souverainistes, apparemment portés sur cette question, ont peiné à adopter une démarche positive; les libéraux, eux, semblent n’avoir d’intérêt que pour l’économie et «l’Europe fédérale» alors même que la liberté se trouve au centre de l’esprit européen. Quant aux écologistes, la volonté de préserver l’environnement ne fait pas d’eux des conservateurs, ce qui est bien dommage, car l’environnement n’est qu’une des facettes d’un patrimoine commun à conserver.
Une civilisation qui ne se définit même plus est une civilisation qui court le risque de se perdre. L’Union européenne, qui s’est fondée sur la paix entre les nations, a eu le mérite d’assurer une certaine stabilité. Mais pour véritablement unir des peuples européens, une définition de l’Europe autre que géographique et économico-juridique s’impose.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Vous venez de lire l’éditorial ouvrant Le Regard Libre N° 52.
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