Le Regard Libre N°51 – Loris S. Musumeci
Dossier spécial Prix littéraires
La fille au Leica d’Helena Janeczek, lauréat du plus prestigieux prix littéraire italien, le Premio Strega. Livre qui, malgré ses défauts, vous présentera la figure passionnante de Gerda Taro, photographe de guerre et compagne de Robert Capa.
Gerda Taro, ça vous dit quelque chose? Sans doute que non. Mais si l’on prononce l’illustre nom de Robert Capa, tout le monde sait de qui il s’agit. Même sans trop savoir le replacer dans sa mémoire, le nom de Capa résonne tout de suite comme celui d’une personnalité. Il a été l’un des plus grands photographes de guerre de l’Histoire. Figurez-vous que Gerda Taro aussi. Les deux ont d’ailleurs travaillé ensemble; les deux formaient un couple. Dans son récit aux allures de compte-rendu historique, l’auteur italienne Helena Janeczek redonne voix et image à Gerda Taro, qui mérite d’être connue.
Comme souvent, les travaux collectifs ne voient qu’une partie de leurs auteurs être récompensés. C’est un peu le cas de Capa vis-à-vis de Gerda Taro. Seulement, cela semble être davantage dû aux circonstances de l’Histoire qu’à une manipulation. Les photographes se sont en effet connus dans le Paris des années trente. Juifs et antifascistes convaincus, ils sont partis couvrir la guerre d’Espagne. Capa en reviendra, pas Taro. Elle est morte écrasée sous un char en juillet 1937. Sa carrière s’arrête là, alors que celle de son compagnon continue jusqu’en mai 1954, lorsqu’à son tour il trouve la mort sur une mine, en pleine guerre d’Indochine.
Capa restera dans les mémoires, c’est certain. Il n’est pas impossible toutefois que Taro ne le rejoigne. Ce roman, qui plus est primé par le plus prestigieux prix littéraire italien, n’est en effet pas anodin. De plus en plus d’historiens, d’écrivains et de photographes s’intéressent au travail de Gerda Taro, et à sa vie héroïque et passionnante. Malgré l’ombre, elle était très appréciée de ce cercle d’artistes bohèmes, communistes, souvent juifs ou immigrés de Paris. A tel point que son enterrement a rassemblé plus d’un millier de personnes, avec un éloge funèbre de Pablo Neruda et de Louis Aragon. Tout ça, on l’apprend dans le livre.
Critiquable à bien des égards, d’ailleurs. Si le prix Strega lui a été attribué c’est sans doute en l’honneur de la figure de Gerda Taro. Au niveau du style, Helena Janeczek se perd un peu trop dans la lourdeur des phrases qu’elle se regarde écrire. Et sa présentation du sujet devient par moments un casse-tête tant elle veut citer tous les noms, tout raconter. Donc, un brin pénible parfois, un peu trop étiré pour s’essayer à un style qui n’en valait pas la peine, avec de nombreuses fautes de français dans la version originale – certaines expressions sont en français dans le livre de langue italienne pour faire plus parisien –; mais La fille au Leica n’en devient pas pour autant une lecture désagréable.
Au contraire, il permet en premier lieu de découvrir cette Gerda Taro, Gerta Pohorylle de son vrai nom, qui je vous l’assure, habitera vos pensées pour un moment; et de découvrir toute une ambiance. Grands discours communistes dans les cafés de Montparnasse, vie précaire des artistes, amours par-ci, amitiés par-là. Les grands noms de ces années-là y passent. La répression des Juifs pose les questions du pourquoi et du comment. Différence entre nazisme hitlérien et fascisme mussolinien. L’Europe à construire. Le monde à explorer, à travers ses guerres. Vraiment, le récit est riche. Le récit fait réfléchir, à travers le viseur du Leica de Gerda Taro.
«Faire œuvre d’art ne constituait pas leur métier, mais ils savaient de quoi dépendait la qualité d’une image: ils avaient intégré les idées esthétiques de l’époque en même temps que les idées politiques et sociales, et ils étaient conscients du fait que c’était justement là, dans l’art, qu’une révolution avait déjà lieu.»
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: Wikimedia CC 3.0
Helena Janeczek
La fille au Leica
Actes Sud
2018
384 pages