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«CODA», la musique comme thérapie6 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Le Regard Libre N° 49 – Ivan Garcia

Documentaire consacré au musicien et compositeur japonais Ryuichi Sakamoto, Coda donne à voir son rapport à la musique, qu’il considère à la fois comme une thérapie individuelle et un moyen d’éveiller la société à certaines thématiques telles que l’écologie ou la nature humaine.

En solfège, la coda d’une partition indique la reprise d’une partie musicale déjà jouée permettant ainsi de mener la mélodie à son terme avec, souvent, quelques subtiles variations. Dès lors, le titre de ce film prend tout son sens. Certainement moins connu du grand public que Joe Hisaishi, le compositeur des bandes-son d’Hayao Miyazaki, Ryuichi Sakamoto n’en demeure pas moins un personnage fondamental, à l’instar d’Hans Zimmer, pour qui s’intéresse à la musique de films.

Entre destruction et maladie

La scène d’ouverture du documentaire – qui dure environ une dizaine de minutes – plonge le spectateur dans la préfecture de Miyagi, au sein de la zone contaminée de Fukushima. A cet endroit, la caméra observe Ryuichi Sakamoto en train d’étudier un piano. Selon les rumeurs, cet instrument aurait résisté au tsunami. Après divers tests, le compositeur joue une petite mélodie et s’exprime sur le son de l’instrument; la nature – apprendra-t-on par la suite – accorde les sons à sa guise, lorsqu’elle se manifeste.

Cependant, malgré cette sorte d’optimisme initiatique, il se rend très vite dans la zone de Fukushima, afin d’y constater les dégâts. Puis, il finira par prendre part à des manifestations anti-nucléaires contre le gouvernement japonais. Nous soulignerons que – tout au long du documentaire – la caméra pointe Sakamoto – ses mains et son visage, notamment – sans jamais nous montrer directement le point de vue de celui-ci, par le biais d’une focalisation interne; il s’agit d’une sorte de parti pris narratif visant à garantir l’objectivité du regard porté sur lui.

A la fin de la séquence, celui-ci, assisté de deux musiciens, tient un concert pour les victimes du tsunami en jouant l’une des musiques qu’il a composée pour le film Furyo: Merry Christmas, Mr. Lawrence. Belle, douce et jouée de mains de maître, elle séduit l’assistance. La musique, dans Coda, se cache. Elle attend le spectateur au tournant; seules les musiques du compositeur ont droit à leur moment de gloire, car il s’agit de son histoire. Ainsi les références musicales convoquées renvoient-elles exclusivement à Sakamoto et son œuvre; un parti pris quelque peu surprenant mais qui ne dérange pas vraiment, puisqu’il permet de découvrir un univers méconnu.

Après l’ouverture, Ryuichi Sakamato – qui s’exprime face à la caméra – annonce qu’il est atteint d’un cancer de la gorge et suit un traitement. A partir de cette déclaration, le musicien affirme que cette expérience – outre la diminution drastique de son temps de travail et de ses capacités – lui a donné l’opportunité de tout reprendre à zéro, afin d’aborder son œuvre de manière différente. Entre destruction nucléaire et maladie, Sakamoto relance la partition de son existence pour en composer la suite.  

Rétrospective et inspirations 

Plutôt que de revenir sur l’intégralité de sa vie, le long-métrage cible certains moments-phares de la création de l’auteur. Ainsi, la rétrospective débute par le Japon du début des années quatre-vingt, à la pointe du progrès et de la technologie et, musicalement, précurseur de la musique électronique. Peu de monde le sait mais Sakamoto, bien avant de débuter en tant que compositeur de musiques de films, faisait partie d’un groupe de musique électronique assez connu: The Yellow Magic Orchestra.

Formation avant-gardiste par son utilisation de synthétiseurs et d’ordinateurs, il s’agit d’un élément incontournable, fondateur de la scène synthpop japonaise. Le documentaire présente, d’ailleurs, la première composition de Sakamoto – pour le groupe – la chanson Tong Poo, une belle mélodie électronique, élaborée par des ordinateurs, mêlée à des images d’archives d’un concert du groupe. 

Grand admirateur du cinéaste russe Andreï Tarkovski, Sakamoto construit un projet esthétique qui réside dans sa volonté d’articuler les sons naturels – le bruit de l’eau, le chant des oiseaux, le son de l’air – aux sons produits par ses instruments, créant une œuvre hybride et évocatrice. A noter que Tarkovski s’inspire largement des compositions de Jean-Sébastien Bach pour sa musique – un point que le compositeur japonais souligne en mentionnant la tonalité mélancolique des œuvres de Bach – et souhaite élaborer sa propre composition en hommage à ces deux personnalités. Nous verrons alors le compositeur composer, avec une vue plongeante sur ses mains et les portées, sa mélodie, future rivale du cinéaste russe.

Tout au long du documentaire, les séquences alternent entre prises de vues réelles, images d’archives et séquences d’autres films dont Sakamoto a été inspiré ou qu’il a aidé à réaliser. Un point important de l’œuvre réside, essentiellement, dans cette référence et cet hommage à Andreï Tarkvoski par le glissement d’une séquence de son film Solaris dans le long-métrage. Aussi, l’une des dernières œuvres de Sakamoto prend le titre de Solari, tissant ainsi un lien intertextuel envers Tarkovski. 

Le compositeur de musiques de films 

Après sa courte carrière dans la musique électronique, Sakamoto se lance dans la composition de musiques de films. Avec Merry Christmas, Mr. Lawrence, il se voit décerner un prix et le nombre de collaborations augmente. De Tokyo à New York en passant par Pékin, le musicien travaille à un rythme effréné avec des pointures du cinéma telles que Bernardo Bertolucci et Alejandro González Iñárritu.

Le protagoniste est également un intellectuel car, dans sa bibliothèque, l’on trouve de nombreux ouvrages mais – vraisemblablement – peu de titres sont rendus visibles par la caméra, sauf celui sur l’artiste Noguchi, sculpteur dont l’esthétique moderniste l’a probablement inspiré. Sakamoto précise également sa démarche créatrice en montrant le nombre d’exemplaires – en langues différentes – qu’il possède du roman de Paul Bowles, The Sheltering Sky, adapté par Bertolucci au cinéma sous le nom de «Un thé au Sahara». A cet égard, une séquence du film de Bertolucci apparaît à l’écran et le compositeur japonais la commente en mentionnant une anecdote.

Bertolucci, insatisfait à la dernière minute d’une composition, avait demandé à Sakamoto d’en composer une nouvelle de suite, arguant qu’Ennio Morricone pouvait le faire. Le musicien japonais a donc composé – en trente minutes – une nouvelle introduction pour le film qui rencontra un grand succès. Adepte des défis, celui-ci avait d’ailleurs composé pour le film The Revenant de González Iñárritu un thème à deux sons qui finissent par devenir asynchrones. Le spectateur remarquera alors que les bandes originales de Sakamoto éveillent en lui des souvenirs, à l’instar des images d’archives utilisées par la projection. Le long-métrage joue, d’ailleurs, sur une musique de fond peu présente, afin de mieux rendre hommage aux compositions de l’artiste.  

Vers le début des années nonante, les compositions du musicien intègrent des revendications politiques et sociales, notamment à l’égard des énergies fossiles et de la bombe atomique. Légèrement sceptique vis-à-vis du progrès technologique et guerrier, ce dernier encourage les individus à renouer un lien avec la nature par le biais de l’écoute et de la musique. Au cours des années 2000, l’artiste réalise également un voyage en Antarctique et en profite pour enregistrer des sons naturels, comme l’écoulement de l’eau d’un glacier, soulignant ainsi l’importance d’un retour aux sources pour composer. Coda se conclut par une séquence où Sakamoto mentionne le piano trouvé à Miyagi; ce dernier a été fabriqué et modelé par l’homme, mais la nature lui a permis de retrouver une musique pure.

Bien que légèrement incomplet et plutôt réservé à des mélomanes, Coda ne laisse pas le spectateur indifférent. En choisissant de mêler judicieusement la démarche créatrice de Sakamoto et l’écoute de ses compositions dans un documentaire, celui-ci consacre l’œuvre d’un musicien qui fait de la musique une thérapie, non seulement à son égard, mais également pour une société qui tend à ne plus la percevoir.

Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

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