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«Le fumoir», une virée cauchemardesque au cœur de l’asile5 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Les bouquins du mardi  – Ivan Garcia 

Un internement (forcé) en service psychiatrique place un jeune homme face à la noirceur du système hospitalier français. Le fumoir est une première entrée dans la littérature pour un jeune auteur qui a encore une marge de progression, mais qui donne à lire une histoire intrigante sur l’envers du système.

Parmi la multitude d’ouvrages de cette rentrée littéraire, il y a le premier roman d’un jeune auteur, dont le nom ne semble pas inconnu au bataillon: Marius Jauffret. Vous l’aurez sans doute deviné, il s’agit du fils de l’écrivain Régis Jauffret à qui l’on doit Microfictions ou encore Histoire d’amour. Alors, que vaut le «fils Jauffret»? Constat: un premier roman qui entraîne agréablement dans un univers sombre, mais dont on notera une fin stéréotypée et une progression trop rapide. 

Alcool, asile et cigarettes

Le livre en question, intitulé Le fumoir, prend pour lieu de trame un asile psychiatrique parisien au sein duquel le protagoniste, un certain Marius Jauffret, a été interné sans son consentement pendant dix-huit jours. Au début du roman, Marius, jeune homme de vingt-cinq ans névrosé qui noie sa vie dans l’alcool et les médicaments, passe une soirée fortement alcoolisée à la Place des Vosges. S’ensuit une cuite mémorable qui oblige son frère, Thomas, à l’emmener à Sainte-Anne pour décuver. Mais voilà, là-bas, un psychiatre diagnostique que Marius risque de développer le syndrome de Korsakoff, un trouble neurologique sérieux et dangereux. Aussi, il contraint le frère de Marius à faire hospitaliser ce dernier dans un asile psychiatrique pour qu’il soit pris en charge. Et ainsi commence l’enfer de Marius. 

«Le psychiatre, Roi-Soleil, rappelle à mon frère qu’il n’est pas médecin. S’il me laisse partir, je reviendrai tôt ou tard. Et ce sera pire. Les malades affectés du syndrome de Korsakoff, c’est une hécatombe, une catastrophe, l’horreur absolue. Il hurle qu’il ne veut plus jamais ça dans son service. Il se tourne vers moi. La seule chose à faire pour éviter que mon cerveau ne se transforme en ratatouille est de me placer en observation.» 

Au cœur de l’asile, Marius se lie rapidement d’amitié avec toute une série de personnages tels que Kiki, un homme en surpoids qui a castré l’amant de sa copine, N’Goma, un ancien basketteur en chaise roulante, Nora, une future mariée, Virginie, jeune femme qui a menacé son mari, et d’autres personnalités intrigantes. La seule échappatoire de cet enfer? Un lieu: le fumoir. Celui-ci leur permet de se réunir et de se libérer l’espace d’un instant, grâce à la cigarette et la fumée, de cet endroit maudit. Le fumoir est l’occasion pour l’auteur de montrer que les asiles psychiatriques ne sont pas des lieux exclusivement réservés aux fous, mais également à des personnes «normales» qui sont pauvres, sans famille ou SDF, et que la société juge déviantes. Et celle-ci les fait donc interner pour les éloigner du monde. 

Au cœur de l’asile: un cauchemar sans fin

«L’asile, c’est un donjon BDSM sans règles. L’asile, c’est le miroir grossissant de la société, une loupe gigantesque.» 

L’asile est un lieu qui fait partie de la mythologie littéraire française, et même de son imaginaire. Des mises en scène du Marquis de Sade à l’hospice de Charenton jusqu’au célèbre Histoire de la folie à l’âge classique du philosophe Michel Foucault, l’asile a fait couler beaucoup d’encre. C’est un lieu qui effraie et, en même temps, fascine. Dans son roman, Marius Jauffret décrit cet endroit comme une sorte d’allégorie des systèmes totalitaires où le Suprême Leader ne serait autre que le psychiatre en chef. Dans le récit, il s’agit du Docteur Faucon, aussi surnommé «Conf’» par ses patients, qui est le psychiatre en chef de l’asile où est interné Marius, et dirige l’établissement d’une main de fer.  

«Je vais mieux. Je suis sevré. Sortir m’aidera à reprendre ma vie en main. Ecoutez, assène Faucon, c’est moi le psychiatre, c’est moi qui décide ! 
– Il n’y a pas de recours ? 
– Si. Vous pouvez écrire une lettre au directeur de l’hôpital.
Un puits de lumière divine perce l’obscurité. Mais, précise Faucon en levant un doigt inquisiteur, je dois vous dire que j’ai un droit de veto. Je peux m’opposer à la décision du directeur.» 

Faucon, comme l’oiseau qui fond sur ses proies, voltige librement dans l’asile. Le seul souci des patients est de simuler une amélioration de leur état pour pouvoir (enfin) échapper à l’asile. Au début, ce pauvre Marius ne comprend rien au langage codé de ce système hospitalier peuplé d’abréviations: «ASH» (agents de service hospitalier) ou «HDT» (hospitalisation à la demande d’un tiers) sont des inconnues pour lui. Mais, s’il souhaite sortir, il devra jouer au plus malin pour berner l’équipe médicale et assurer ainsi sa sortie. L’asile, plus que tout autre lieu, transforme les patients qui doivent se forger une nouvelle personnalité pour survivre. 

«A l’asile, on est à l’affût d’un signe qui donnera la possibilité au psychiatre de vous garder encore plus longtemps. Si vous pensez crever dans la minute, n’en dites rien à personne. Foncez dans votre chambre. Si vous avez mal, mettez-vous un coussin sur la gueule et hurlez en silence. Que peuvent donc faire les gens enfermés ici, sinon passer l’intégralité de leur temps libre à échafauder des stratagèmes pour mettre fin à leurs jours?»

Jauffret, Houellebecq et le vilain réel  

Allez savoir pourquoi, le roman sent le Houellebecq. A peine l’ouvrage ouvert, le lecteur tombe nez-à-nez avec la citation suivante: «Chaque année, 100’000 personnes sont internées en France.» Ce qui ne semble pas anodin, vu que l’auteur de Sérotonine décrit dans ce dernier roman comment 12’000 personnes en France choisissent chaque année de disparaître. Le fumoir s’inscrit dans cette veine du dirty realism, même si l’on est loin du niveau d’un Bukowski ou d’un Houellebecq. Notamment parce que la fin du roman nous semble assez convenue. 

Le premier roman de Marius Jauffret n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est une jolie entrée dans le domaine littéraire. Le traitement qui y est fait de l’asile psychiatrique est original et le style de l’écrivain, entre mots crus et écriture psychologique, s’avère un agréable mélange pour décrire cet univers sombre. Ames sensibles ou personnes névrosées, si vous ne souhaitez pas faire de cauchemars, mieux vaut vous abstenir… 

Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

Crédit photo: © Andy Li 

Marius Jauffret
Le fumoir
Editions Anne Carrière

2020
192 pages

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