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«Dominique de Buman, un Suisse»6 minutes de lecture

par Jérémie Bongiovanni
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Le Regard Libre N° 50 – Jérémie Bongiovanni

Le Professeur Gilbert Casasus publie un mélange en l’honneur de Dominique de Buman aux Editions Slatkine. Des contributions de divers auteurs, ayant partagé un moment de la vie politique du conseiller national. Il s’agit avant tout d’un éloge de l’homme et du politicien démocrate-chrétien fribourgeois. Des sujets relatifs à la politique suisse et chers à Monsieur de Buman y sont également traités dans de courts essais.

D’une part, des textes d’amis de Dominique de Buman qui évoquent des expériences partagées, racontent le personnage et surtout, surtout, complimentent leur ami avec peu de retenue. D’autre part, certains auteurs privilégient un texte sur un sujet précis et tentent d’être à la hauteur de la dure tâche qu’ils se sont eux-mêmes attribuée; contribuer à la pensée politique suisse.

Un profil atypique

Dominique de Buman est un politicien de profession, ce qui est assez rare en terres helvétiques pour être souligné. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise, un travail incessant au service la collectivité. Au centre de cet ouvrage, on décrit peu ses positions sur des questions précises – on le situe simplement comme l’aile gauche du PDC –, mais plutôt ses valeurs et ses origines. Pour celui qui vit encore au centre de la ville de Fribourg, la tradition est extrêmement importante. On découvre un homme étroitement lié à sa cité – il fait partie d’une vieille famille patricienne fribourgeoise –, mais aussi à sa foi.

Catholique, il parle de ses convictions religieuses et de ses valeurs ancrées dans la Bible; un profil atypique au parlement, assurément. Il faut le dire, il paraît aujourd’hui être, si ce n’est tabou, du moins difficile de défendre des valeurs fondées sur la foi chrétienne. Celle-ci est souvent balayée d’un revers de main. Le conseiller national y parvient et aborde ouvertement la place et le rôle de l’Eglise catholique au sein de la société: fait rare et intéressant ! Ce rapport à la religion permet un développement plus affiné dans quelques essais, dont nous parlerons plus tard. 

Je lui dirai les mots creux

Un thème récurrent de ce livre est l’humanisme. On nous explique à quel point Dominique de Buman est un humaniste avant tout. Un adjectif malheureusement vague qui a perdu de sa force du fait de son utilisation excessive, tout le monde se qualifiant désormais d’humaniste. On peut définir l’humanisme avec l’Académie française comme une «attitude philosophique qui prend l’homme pour fin et valeur suprême, qui vise à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité». Chaque politicien devrait donc pouvoir être défini comme humaniste! Cet adjectif est caractéristique de la manière dont Dominique de Buman est décrit tout au long du livre. On y évoque pour ainsi dire uniquement des termes abstraits à consonance positive, dans lesquels chacun pourrait se retrouver, ce qui enlève malheureusement un certain intérêt au texte.

Dans le registre des qualificatifs vagues, on dit aussi de lui qu’il défend le bien commun. Cette notion abstraite et indéterminée au possible – étant donné que chacun prétend défendre le bien commun – est, elle aussi, emblématique des idées présentées dans ce livre. Dominique de Buman défendrait le bien commun, c’est-à-dire que «l’intérêt général doit toujours primer des intérêts particuliers». La seule valeur d’une telle affirmation résiderait dans l’argumentation et non dans l’affirmation elle-même. On souhaiterait comprendre pourquoi Monsieur de Buman défend mieux l’intérêt général que les autres.

Malheureusement, l’argumentation se résume à une conception superficielle selon laquelle le libéralisme est néfaste et néglige le bien commun. On prétend que le libéralisme prône le «tous contre tous», mais on ne sait pas qui dit ça, ni pourquoi. Mieux, on parle de «néolibéralisme», voire d’«ultralibéralisme», termes purement politiques et qui n’ont dans la philosophie des idées aucune légitimité. Pour ce qui en va du socialisme, il est simplement affirmé qu’il ne faut pas que chacun gagne la même chose, comme le réclament certains, mais sans plus d’arguments. On repassera pour la profondeur de la réflexion et peut-être pour la contribution à la pensée politique, défaut regrettable pour un livre pourtant long. 

La préface tente immédiatement de couper court à l’esprit sceptique du lecteur qui, en lisant le titre et le sous-titre, anticipe une barbante kyrielle de louanges adressées au principal intéressé de ce livre. On nous le promet cependant, «un panégyrique n’a pas lieu d’être». De nombreux extraits du livre consacrés à Dominique de Buman tombent malgré tout dans des travers tout aussi inévitables qu’insupportables. On nous livre alors ce qu’on nous avait pourtant promis d’éviter: une litanie d’éloges. Florilège: «Dominique, c’est un homme bien.», «On ne peut reprocher à Dominique de Buman de méconnaître le passé ni de ne point se préoccuper de l’avenir. L’homme est par ailleurs bien ancré dans le présent.» ou encore «Dominique de Buman: l’humaniste». On n’a que rarement droit à une argumentation basée sur des faits concrets afin de savoir pour quelles raisons tel ou tel qualificatif lui est attribué. Cela se révèle souvent décevant et sans intérêt pour le lecteur, bien que la démarche soit sûrement sincère.

Des passages passionnants

Certains essais suscitent cependant un véritable intérêt. L’historique des positions de l’Eglise catholique face aux nouvelles souffrances sociales liées à l’industrialisation est passionnante. Ce tournant amorcé par le pape Léon XIII à la fin du XIXe siècle évolue à travers le XXe siècle et influence encore jusqu’au pape François aujourd’hui. Depuis Léon XIII, on est passé «d’une doctrine sociale que l’Eglise veut imposer au monde à une pensée, certes inspirée par l’Evangile, mais qui inspire l’action au cœur de l’histoire qui se fait».

Pour sa part, le texte d’un ancien ambassadeur de France en Suisse est remarquablement empreint de concision et de précision sur le système suisse. Il y observe la démocratie dans son plus simple appareil – la Landsgemeinde – à Glaris, l’unité nationale malgré quatre langues et tout autant de cultures ou encore le fédéralisme. Son émerveillement, presque naïf, convaincra ceux qui douteraient encore. L’ancien ambassadeur étudie les rapports entre la Suisse et l’Europe et arrive à la conclusion, limpide, que «les ADN respectifs de la Suisse et de l’Europe sont trop éloignés pour qu’une adhésion pure et simple soit envisageable». 

L’analyse de la place du Parti démocrate-chrétien sur l’échiquier politique suisse y est aussi intéressante. Dominique de Buman observe le déclin de son parti ces dernières années, mais reste convaincu de l’importance de ce rôle de tampon entre les extrêmes. On remarque que ce que beaucoup décrivent comme la polarisation de la vie politique coïncide en partie avec un PDC en perte de vitesse, incapable de se définir et de se situer clairement pour la population. Le centre a définitivement un rôle important à jouer. Le PDC pourrait-il être remplacé ou réussira-t-il à survivre en effectuant sa mue assez tôt? Rien n’est moins sûr.

Bien que l’apport à la pensée politique suisse de ce livre soit faible, l’hommage à Dominique de Buman est certainement une réussite. Il ressort tout de même de ce livre que le conseiller national s’est voué au service de son pays sa vie durant. Il a notamment présidé le Conseil national l’année dernière, sommet de sa carrière politique. Un homme humble et droit, qui incarne l’idée que l’on peut se faire d’un serviteur de la nation.

Ecrire à l’auteur: jeremie.bongiovanni@leregardlibre.com

Gilbert Casasus
Dominique de Buman un Suisse
Editions Slatkine
2019
288 pages

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