Paléo Festival 2019 – Jonas Follonier
Les paléontologues étudient les restes d’être vivants et leur évolution historique. Pourquoi ne pas faire de même avec le Paléo Festival? Il y en a, des restes d’êtres humains, dans cette boue. C’est un terreau plutôt fertile pour se lancer dans une petite analyse sociologique. Place à la paléologie.
Rousseau, je ne le porte pas dans mon cœur, ni comme philosophe, ni comme écrivain. Toutefois, comme tout génie – et je le considère comme tel –, il y a des terrains isolés qui peuvent parler même à ceux-là qui ne le trouvent pas génial dans la majorité de son œuvre. Ainsi en est-il pour ma pomme des Rêveries du promeneur solitaire, une petite pépite fondatrice du genre littéraire de la promenade. Naguère élève du professeur Claire Jacquier à l’Université de Neuchâtel, j’ai eu l’occasion d’approfondir mon expérience de ce bouquin jusqu’à parfois, je l’avoue, m’identifier au Jean-Jacques.
Rôdant toute la semaine sur la plaine de l’Asse, dans la périphérie champêtre de Nyon, pour l’un des plus grands festivals d’Europe, je me sens parfois étranger. «J’avais pour tout bagage / Des mots et des images / Pour moi chaque visage / Etait un nouveau paysage / Je serais donc toujours étranger partout / Ou bien serais-je chez moi un jour, mais où?», chantait l’ami-ennemi. Dans la musique, je suis chez moi. Que j’en fasse ou que je l’écoute. Mais hors de la musique, cela commence à être compliqué. Dans un festival, cette réalité burlesque et tragique prend alors tout son sens. Que de gens venus pour entendre de la musique et non l’écouter!
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Voilà déjà une première distinction qui nous est utile pour notre analyse sociologique: il y a les âmes venues pour écouter de la musique, d’autres venues pour en entendre. En passant, comme ça, presque par hasard, puisque de toute manière les stands de nourriture et de boissons ne sont pas très loin! Et c’est bien connu, on va à un festival pour décompresser. Pour se défouler, et fouler la terre humide de ses pieds. Et comprenez-moi bien, il n’y a rien de mal à cela. Jadis les cirques, aujourd’hui les festivals et quelques matches de reines en Valais et fêtes de luttes. Il en faut pour tous les goûts. Toujours est-il que dans une manifestation comme Paléo, l’espace est si grand qu’on ne peut résumer sa biodiversité à une catégorie.
D’abord, il y a les actuels trentenaires. Ces fameux jeun’s qui ne mettent jamais de chemise – parce que ce n’est pas cool – et qui sont très tolérants sauf envers tout ce qui vient les contrarier. Ensuite, les quadras et quinquas festivaliers qui ne se distinguent des trentenaires qu’en ceci qu’ils boivent en peu plus de vin et un peu moins de bière et qu’ils ont souvent un peu de tatouages beauf. Il y a aussi les personnes de plus de soixante ans. Celles-là sont soit des ex-soixante-huitardes, soit simplement des gens très ouverts d’esprit et curieux.
Une impression très positive me gagne donc face à cette joyeuse diversité. Après tout, les mélomanes sont peut-être aussi rares que mes très bons articles, et ce qui est rare est précieux. Mais quel spectacle tout de même que de voir tous ces humains patauger dans la boue tels des cochons. Ai-je vraiment envie de m’y identifier? Je ne crois pas. Il me prend alors de rêver à mes soirées hivernales, sous la couverture, à bord d’un vinyle de bon rock originel. Quelle distance par rapport à cette machination surfant sur la mode et les effets de groupe. Et puis, il y a ce son fameux, cette petite étincelle inattendue dans un concert ou une situation qui fait que la joie de l’être-au-monde heideggérien se saisit alors de moi. Ou peut-être même est-ce là le début de l’être-dans-le-monde.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Crédit photo: © Paléo / Ludwig Wallendorff