La période qui a précédé les élections fédérales n’aura pas offert un débat de fond. L’écologisme aura été omniprésent, évinçant les questions d’Europe, de prévoyance vieillesse ou d’assurance maladie. Au contraire de la campagne en amont, les résultats, eux, sont très intéressants: la gauche ne représente pas les ouvriers qu’elle veut défendre et la fracture entre ville et campagne est consommée.
Une analyse du profil socio-professionnel du nouveau Conseil national menée par l’Observatoire des élites suisses (OBELIS) de l’Université de Lausanne nous renseigne sur le niveau de formation de la nouvelle chambre basse. Le graphique suivant représente la proportion d’universitaires au sein des délégations partisanes du Conseil national fraîchement élu:
La fin de la gauche ouvrière
Les chiffres sont limpides: le milieu académique est surreprésenté de manière générale. Au niveau national, on compte au maximum 30% de la population ayant fait des études supérieures en additionnant hautes écoles universitaire, spécialisée et pédagogique, contre 61% des élus du Conseil national. Alors que le Parlement a pour mission de représenter toutes les couches de la population, cet objectif est malheureusement loin d’être atteint. Certains partis se rapprochent cependant plus de cet idéal que d’autres. Plus les partis sont à gauche, plus il y a d’élus universitaires.
La gauche représente donc moins bien le peuple que la droite en ce qui concerne le niveau de formation. Celle qui s’attribue la majeure partie du temps la défense des classes défavorisées et moins éduquées – le monopole du cœur, comme disait l’autre – et qui reproche à la droite de représenter des élites déconnectées, semble reprocher à ses ennemis ce qu’elle est elle-même. Le PS et les Verts ne représentent effectivement que très mal les personnes moins éduquées et ouvrières, pourtant largement majoritaires dans la population.
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Cet état de fait confirme le tournant pris par la gauche. Elle se retrouve aujourd’hui incapable de trouver une résonance auprès des travailleurs qui sont relativement bien protégés dans leurs droits et qui se tournent plutôt vers l’UDC, exprimant une volonté de protéger leur place de travail vis-à-vis de l’immigration. Cela se voit notamment dans le cas des syndicats de travail, qui n’ont que très peu l’occasion de manifester contre les abus d’employeurs. La gauche défend désormais principalement les minorités en tous genres (littéralement), la gauche ouvrière cependant se meurt.
Une fracture entre ville et campagne consommée
La fracture entre la ville et la campagne constitue l’autre remarquable observation de ces élections fédérales. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, plus l’électorat est citadin, plus il vote à gauche – Parti socialiste et Verts.
Ces chiffres illustrent notamment le paradoxe selon lequel l’électorat des villes élit des politiciens de gauche décidés à prendre des mesures radicales pour lutter contre le changement climatique, alors que ce sont précisément les gens habitant à la campagne qui seront le plus touchés par lesdites mesures. Dans la presse dominicale, l’élue neuchâteloise verte Céline Vara, expliquait qu’il faudrait «faire des efforts pour répondre à l’urgence climatique». Mais qui devra donc faire des efforts? Il y a peu de chance que cela soit la population urbaine qui l’a élue et qui a bien assez de moyens pour payer une taxe sur un billet d’avion ou un abonnement de transport public. La population vivant à la campagne, dépendante de la voiture, devra cependant s’acquitter d’une taxe sur l’essence ou d’autres restrictions liées à la mobilité personnelle.
Ce fossé entre ville et campagne illustre un dysfonctionnement structurel semblable à celui à l’origine du mouvement des «gilets jaunes» en France. Le pouvoir politique moralisateur veut imposer ses normes à la population en étant convaincu d’en être proche et de comprendre ses problèmes. Cependant, comme nous l’avons vu, la gauche ne représente pour ainsi dire qu’uniquement une certaine faune académique, plutôt privilégiée et qui habite les villes.