Article inédit – Jonas Follonier
Vendredi soir, l’artiste neuchâtelois Morgoran a présenté son nouvel EP A ces quelques secondes sous forme de concert-vernissage à la Case à Chocs. Auteur-compositeur de tous ses titres, le jeune imbibé de folk et de chanson française a interprété ses six nouveaux titres et des versions réarrangées de ses plus anciennes chansons, accompagné par d’excellents musiciens. Retour sur une soirée à l’ambiance à mi-chemin entre le salon et le saloon.
La grande salle de concert de la Case à Chocs, bien connue des amateurs de musiques actuelles, est totalement réaménagée. Le public essentiellement neuchâtelois découvre une salle où fauteuils, petites tables de salon, zones debout et bar composent un espace conforme aux règles sanitaires actuelles. L’atmosphère s’en retrouve feutrée, intimiste. Pas autant qu’au Salon du Bleu Café, au charme déterminé par un mobilier riche, des décorations kitsch. La Case à Chocs partage avec cet établissement un caractère populaire, mais il mise en ce moment sur la sobriété. C’est cosy, comme s’empresse de commenter tout un chacun. La capacité maximum de cent personnes est quasi atteinte.
Une redécouverte de son répertoire
Et si la disposition de la salle de concert a été totalement revue pour les besoins de l’époque – et pour continuer à proposer des concerts, Dieu qu’ils ont raison! – Morgoran, l’homme de la soirée, a également pris soin de revoir une bonne partie des arrangements de son répertoire. Alors même que les cinq musiciens qui l’accompagnent, sa sœur Amarande Léchot à la basse, Michel Bertarionne à la guitare, Raphaël Weber à la guitare et à la mandoline, Mélody Génadinos au violon et Marius Rivier à la batterie, sont ceux que l’on entend sur le CD. Malin, l’artiste. Morgoran, de son vrai nom Morgan Léchot, a bien vu qu’il est plus intéressant pour le public d’accéder à de l’inédit et à du fait sur mesure que sur une reproduction de ce qui est déjà connu.
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C’est ainsi que nous ne reconnaîtrons Là où je vais le ciel est gris et Des Airs Lunaires, notamment, chansons tirées de son premier EP Esquisse (2017), que lorsque les premières paroles retentiront dans la salle, tant l’intro musicale a été savamment décorée d’une nouvelle touche. A noter que c’est beaucoup moins le cas du magnifique Vent sans frontière, qui ouvre le récital en sollicitant nos souvenirs d’auditeurs. Effet de surprise ainsi assuré pour la suite du concert. L’expérience musicale se fait riche pour les spectateurs; elle l’est aussi pour les musiciens. Le guitariste Michel Bertarionne, à qui l’on doit de délicieuses petites notes de Dobro parsemées sur l’œuvre de son ami musicien beaucoup plus jeune que lui, m’explique après le concert que lors des quatre ou cinq répétitions pour ce vernissage, chaque membre du groupe a pu apporter ses idées très librement.
Les nouveaux titres
Et puis, bien sûr, les nouvelles chansons. Un petit bijou que ce deuxième EP A ces quelques secondes sorti hier! Les six titres qui le composent maintiennent cet équilibre entre chansons plus calmes et plages plus rythmées. Comme dans le premier opus également, la mélancolie et la nature ne sont pas présentes, elles sont omniprésentes. Mais ce qui fait la spécificité de A ces quelques secondes – et qui fait qu’on en redemanderait bien quelques-unes de plus – c’est définitivement la dimension country plus mise en avant qu’auparavant. Un titre, incontestablement l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur, réunit à la fois la nature, la mélancolie et la country: J’ai flingué l’esprit. Superbe trouvaille de titre, et quelle matérialisation musicale du cinéma western!
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On sent également un travail particulier sur les mélodies et les textes qui les portent et nous emportent. Le single Je ne viendrai pas, très réussi, en témoigne. A noter aussi, ce vers, quelque part dans l’EP: «Tu soignes le silence.» Une définition de la musique? Et celui-ci: «Ce soir, l’air est rempli de nos mélancolies.» Là encore, on peut y voir les airs musicaux de Morgoran. On entend également du Cabrel sans accent du sud-ouest sur Le sud de ton corps, interprété en duo hier avec la violoniste Mélody Génadinos.
En bref, vous en conviendrez: cela fait plaisir de tomber sur un concert qui nous plaît vraiment. Et c’est fondamentalement ce qui s’est passé pour moi et pour bien d’autres, et qui a motivé la rédaction de cet article. Car oublions le poncif idiot «Tout m’intéresse», dont nous tentons tous parfois de nous persuader. Ce qui nous intéresse vraiment, ce sont les gars comme Morgoran. Ceux qui osent sublimer du Dylan à la fin d’un concert. Longue vie à ces artistes!
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Morgoran
A ces quelques secondes
Auto-production
2020
6 titres
Image d’en-tête: © Bernard Léchot