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«Le Misanthrope», une amère comédie3 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Promenades théâtrales (6/6)

Le Regard Libre N° 19 – Loris S. Musumeci

« ALCESTE. Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments. »

C’eût été bien dommage de ne pas trouver de place à l’inimitable Molière dans au moins un des épisodes consacrés à l’art théâtral. Me voici alors avec Le Misanthrope, un chef-d’œuvre présenté à la cour du bon Roy Louis en 1666. Mais quelle pièce étrange ! On ne sait s’il faut rire ou s’inquiéter. Les éléments du ridicule y sont en effet soigneusement estompés, pour laisser place à de plus sérieuses questions, telles que la mesure de l’honnêteté, la valeur de l’amitié ou encore le comportement adéquat en société.

Il semble superflu de raconter la trame du grand classique de Molière encore et encore, toujours et sans cesse. Pour ceux qui de leurs souvenirs scolaires subissent aujourd’hui quelques oublis, Le Misanthrope raconte l’histoire d’un misanthrope authentique, en pensées et actes : Alceste. Ce dernier vit dans une société plus mondaine que les mondanités, où le compliment mignon et respectueux a toujours sa place, où la trahison est une coutume, la médisance un jeu et le sourire un masque.

Tout pourrait fonctionner ainsi ; les mondains, se moquant et se feignant constamment autres, possèdent la noble et ridicule faculté de vivre ensemble tout à fait contents. Alceste, toutefois, déteste la mondanité dans laquelle il vit et ne manque pas de mal répondre à ses ambassadeurs. Pensons à l’angoisse du premier acte lorsqu’il déclare, non sans retenue précédente, au précieux Oronte qui vient lui présenter quelque pompeux sonnet composé par ses propres soins, que « Franchement il [le sonnet] est bon à mettre au cabinet. / Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles, / Et vos expressions ne sont point naturelles. » Il n’en demeure pas moins que ce même Alceste, l’honnête et brave, aime et fréquente la plus vile des mondaines, Célimène, aux nombreux amants. Malgré l’amour et les conseils de son fidèle ami Philinte, le protagoniste finit par se retirer, seul, de cette société qu’il hait.

« Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,
L’un pour l’autre à jamais garder ces sentiments !
Trahi de toutes parts, accablé d’injustices,
Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d’être homme d’honneur on ait la liberté. »

Le misanthrope que nous rencontrons dans la pièce suscite différentes impressions : il est attachant, mais peut être repoussant par sa suffisance ; il fait mal au cœur, mais certains diront que s’il est trahi, c’est « bien fait pour lui » : il a, après tout, offensé et vexé des personnes par sa sincérité sans mesure.

Pour ma part, ce vilain petit canard m’émeut par son exigence de vérité. Il ne manque cependant pas de m’irriter par son manque de délicatesse. Il ne suffit effectivement pas de balancer un seau de réalité à la face de l’illusionné, il faut aussi rendre ce réel aimable ; cela demande de la diplomatie.

Un Alceste est aujourd’hui absolument d’actualité. Le Misanthrope est une pièce, dans son fond, éminemment contemporaine, de par la révolte contre la bienséance qu’elle ose. Entre un « Mal aimé » à la Claude François, un honnête réactionnaire à la Zemmour, un Finkielkraut qu’on qualifie bêtement de malheureux, un Camus révolté, une Simone de Beauvoir indignée quant à sa condition de femme, un Nietzsche à qui l’on reproche des critiques trop crues, un Baudelaire qui en dirait trop, il y a peut-être un petit misanthrope qui crie au fond de chacun. Et il se peut même que cela soit profondément sain. Nous pourrions sortir des vaines civilités pour retrouver le bon sens de la tradition et pénétrer une belle et juste relation avec autrui.

Ecrire à l’auteur : loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo : esprit-paillettes.com

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