Les mercredis du cinéma – Diana-Alice Ramsauer
Un article paru dans Bon pour la tête
Oui, la série Au nom du père regroupe tous les questionnements d’une frange de la population aisée, centrée sur son petit épanouissement personnel: rapport au père, problème de couples, spiritualité, gestion des émotions ou encore découverte d’une sexualité LGBTQIA*. Et pourtant, la force des émotions qui en ressort n’est pas anodine. Le jeu de l’acteur Lars Mikkelsen, primé aux Emmy Awards pour la meilleure interprétation masculine, n’est pas étranger à la puissance du récit.
Johannes Krogh est un orateur (et accessoirement pasteur) tout à fait hors pair. C’est ce que l’on expérimente dans les toutes premières scènes de la série en dix épisodes Au nom du père. Il a deux fils: l’aîné, Christian, traits froids, veines saillantes et regard noir, tente de finir ses études d’économie tant bien que mal à plus de trente ans après avoir abandonné son cursus en théologie. Le petit frère August, sourire d’ange, auréole rousse et voix douce, perpétue la tradition familiale, prêchant avec modernité dans une église de Copenhague. Une famille très croyante, mais qui pourrait ressembler à beaucoup d’autres. Le décor est posé et fait de belles promesses.
Mi-anges, mi-serpents
Johannes n’est pourtant pas seulement un orateur qui émeut. Il est aussi un homme possédé – on ne sait d’ailleurs jamais vraiment s’il l’est au sens propre ou figuré du terme. Patriarche à l’attitude de serpent, il est violent dans les paroles qu’il vomit sur ses proches et destructeur par l’alcool qu’il ingère lors de ses passages aux enfers. Il est aussi un père obsédé par la tradition familiale: depuis deux cent cinquante ans, on est pasteur de père en fils et rien ne doit faire obstacle à cette coutume.
Alors, Christian fuit rapidement cette pression, entre reniement du père, expériences amoureuses chaotiques et un voyage au Népal qui lui permet de se rapprocher, de manière inattendue, d’une autre forme de spiritualité et de cesser d’«être en colère» pour «apprendre à respirer». Il en écrira un livre, qui deviendra un bestseller. Critique d’une tendance particulièrement rentable qui est celle d’écrire des bouquins dont le titre est Comment être heureux? ou surfe sur une rhétorique bien huilée de «coachs personnels»? Au nom du père ne semble rien remettre en question à ce niveau-là. La série souhaite peut-être simplement refléter la quête de réponses, dans un monde toujours plus difficile à appréhender.
Quant à August? Lui, porte le fardeau familial d’être pasteur. Petit chouchou du père en raison de son engagement pour l’Église, il vivra pourtant un événement traumatique qui lui fera douter de sa foi, puis le plongera dans un fanatisme dangereux. Influencé par ce père à moitié dépressif, à moitié pervers narcissique, sa candeur charmeuse est peu à peu transformée en rictus douloureux. Au nom du père propose une variation sur le thème du «poids du secret» – vu et revu – qui fait néanmoins subtilement évoluer les personnages.
Alors, est-ce que cette série qui creuse la question de la spiritualité est réussie?
Certains détails du récit sont malheureusement décevants. Doit-on vraiment coucher avec la copine de son meilleur ami, tomber d’une falaise et atterrir chez des moines bouddhistes pour se remettre en question? Doit-on vraiment fuir le domicile conjugal dans une idylle avec une personne du même sexe pour chambouler son quotidien? Et doit-on vraiment sauver des enfants réfugiés (musulmans) pour combler un besoin de solidarité? Les exemples sont évidemment dans l’air du temps et cela fait indéniablement vendre: c’est donc un parti pris commercial tout à fait bien joué. Un tout petit peu plus de finesse aurait cependant été appréciée.
Et pourtant, la narration, complexe, est à la fois limpide et brillante; la profondeur du questionnement sur le rapport au christianisme, amené notamment par des citations de la Bible, de longs prêches inspirés et une remise en cause de la normativité de l’Eglise offrent une profondeur tout accessible; l’ambiguïté des sentiments familiaux remue avec force. Alors oui, après la série Borgen, le réalisateur Adam Price a, à nouveau, réussi à toucher et à questionner.
Ecrire à l’auteur: diana-alice.ramsauer@bonpourlatete.com
Crédit photo: © Tine Harden
Au nom du père, saison 1, à voir en libre accès jusqu’au 28 décembre sur ARTE +7