Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci
«Le diable te tentera sans cesse.»
Jared Eamons est sage et pieux. Un vrai petit américain qui travaille bien à l’école, qui obéit à ses parents avec lesquels il discute beaucoup, qui donne un coup de main au garage Ford de son papa, et qui ne manque pas un dimanche à l’église. Le père est pasteur, donc normal. Jared a des amis qui sont de braves gars, et il a même une petite copine. Lorsqu’il quitte le foyer familial pour aller étudier à l’université, il se découvre – ou s’avoue – un penchant pour les garçons; de plus en plus imposant. Les circonstances font que ses parents sont avertis par l’université. Inadmissible. Il faut corriger le jeune, le remettre sur le droit chemin. Heureusement, l’institut Love in Action est spécialisé dans la réorientation sexuelle. Quitte à utiliser des méthodes quelque peu douteuses. L’histoire de Jared est une histoire vraie.
Histoire vraie, histoire d’une souffrance, histoire d’intolérance et de discrimination, donc touchant? Bof. Effectivement, quiconque entend qu’un jeune est harcelé parce qu’homo ne reste pas indifférent. Oui, on a mal au cœur pour lui, on se dit qu’il doit vivre un calvaire dans sa famille puritaine, et que tout cela est injuste. Néanmoins, cela ne suffit pas à faire du cinéma, ou du moins du bon cinéma. A part l’affiche du film qui est très réussie, rien dans la photographie ne tape à l’œil. Pas même la lumière à travers les vitraux de l’église, ou les mouvements de caméra, ou encore le rythme.
Même s’il faut avouer que les plans ont au moins une constance: celle de jouer avec l’isolement de Jared et des autres homosexuels en thérapie. Le scénario ne réussit pas plus à convaincre: trop de retours en arrière dans le temps qui lancinent sans doute le protagoniste mais moyennement le public. Les personnages manquent de nuances; dommage, parce que la volonté de leur en offrir y est, et on le sent. Malgré ce défaut, le personnage le mieux incarné reste tout de même celui de Jared. L’acteur se donne pour révéler le mal-être de celui qu’il interprète. Il parvient en outre à jouer avec brio la soumission à ses parents. Et franchement, ça fait plaisir. Parce que même si le film n’est pas très bon, il offre au moins un témoignage.
Au niveau de l’histoire vraie de Garrad Conley, l’intérêt est certain. Elle livre une information sur l’existence de ce genre de centre ainsi que sur les pratiques qui s’y déroulent. Rien que pour cela, Boy Erased en vaut la peine. D’ailleurs, un tel sujet aurait pu gravir les Oscars s’il avait été tourné avec beaucoup plus d’habileté. Je pense d’ailleurs qu’il y en a chez Joel Edgerton, réalisateur et acteur. Il n’en est qu’à ses débuts derrière la caméra. Qu’il se fasse la main, ou qu’il reste acteur. A lui de voir. En tout cas, outre le choix du sujet, il faut lui reconnaître le talent d’avoir traité l’homosexualité sans scène de sexe – à l’exception d’une, assez particulière et discrète. C’est louable! Non pas au nom d’une bienséance désuète aujourd’hui, mais plutôt d’une pudeur qui s’abstient du voyeurisme, et qui montre que Jared n’en fait pas son souci principal. Il veut juste être accepté tel qu’il est.
«Je suis gay, et je suis ton fils.»
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: © Universal Pictures
BOY ERASED |
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ETATS-UNIS, 2018 |
Réalisation: Joel Edgerton |
Scénario: Joel Edgerton |
Interprétation: Lucas Hedges, Nicole Kidman, Joel Edgerton, Russell Crowe, Flea, Xavier Dolan |
Production: Blue-Tongue Films, Anonymus Content, Focus Features, Perfect World Pictures |
Distribution: Universal Pictures Switzerland |
Durée: 1h55 |
Sortie: 3 avril 2019 |