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Films

Critique

«Daaaaaalí!», l’infidélité récompensée6 minutes de lecture

par Jordi Gabioud
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Daaaaaalí! (2024) de Quentin Dupieux

Raconter le parcours de l’individu historique a conduit le cinéma dans l’impasse du biopic. Daaaaaalí!, le nouveau film de Quentin Dupieux, essaie de se démarquer par son originalité, mais y parvient-il vraiment?

Judith (Anaïs Desmoustier), une journaliste reconvertie, se retrouve malgré elle à la tête d’un projet de film documentaire sur le peintre excentrique Dali, incarné par Edouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lelouche, Pio Marmaï et Didier Flamand. Mais l’artiste, porté par ses humeurs du moment, ne cesse de compromettre le projet de la journaliste, comme il semble compromettre le récit du film que nous regardons.

Un cinéma de l’attraction

Il semblerait que depuis Réalité, Quentin Dupieux continue d’expérimenter des concepts simples au travers de films rapidement écrits, produits et distribués. Pourtant, de l’aveu même de son auteur, Daaaaaalí! nécessitait un travail d’écriture plus détaillé. Le résultat se voit à l’écran: le film ne repose pas seulement sur des situations irrationnelles ou des dialogues de théâtre, comme ce fut le cas pour les derniers films de Quentin Dupieux, mais il mobilise ici des outils purement cinématographiques au service de son récit.

Et c’est bien la force de ce nouveau film de Quentin Dupieux: le film abandonne la narration habituelle du biopic pour traiter Dali non en personne, mais en matière. Le personnage devient prétexte à mélanger les âges, à imbriquer rêve et réalité, à multiplier les références à Dali, mais aussi au cinéma de Luis Buñuel ou au surréalisme.

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Daaaaaalí! est un film qui jouit d’une grande liberté. Pour être plus précis, il profite pleinement de la confiance en l’intelligence du public. Alors que l’écriture cinématographique d’aujourd’hui met la priorité sur la compréhension, Dupieux la relègue au second plan: au fond, quelle importance de savoir si la scène que nous regardons est réelle, un rêve, ou une anecdote de prêtre lors d’un repas trop long? Le cœur de l’écriture de Dupieux, c’est l’attraction: donner constamment envie au spectateur de regarder ce qu’il regarde sans l’expliquer.

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Daaaaaalí! est un modèle des multiples stratégies d’attraction que l’on peut exercer sur le spectateur. Il y a évidemment l’humour, dans le dialogue comme dans la mise en scène, parfois burlesque, parfois noir, grossier comme subtil, qui rend l’ensemble du projet accessible à tout public. Il y a aussi l’étrange. Un prêtre raconte un rêve complètement décousu, invitant le public à l’interpréter. Un couloir d’hôtel qui semble infini. Certaines scènes se répètent, et nous cherchons la variation entre celles-ci.

Mais surtout, l’objet d’attraction le plus important est Dali lui-même. Ce personnage anarchiste comme monarchiste est imprévisible, on attend chaque fois sa dernière excentricité tout comme ses moments d’humanité. On cherche à constamment décoder l’homme du personnage, mais la tâche nous paraît vite impossible: Dali contamine tout, influence tout, détruit tout.

L’anti-biopic

On pourrait ainsi considérer Daaaaaalí! comme un excellent divertissement, mais un très mauvais biopic. D’ailleurs, son réalisateur lui-même récuse l’appartenance de son film à ce genre. C’est bien normal: le biopic a mauvaise presse.

C’est que le biopic se trouve dans une situation intenable: il doit retranscrire le plus fidèlement possible le réel avec un art qui consiste à tromper constamment son public. Cette tension est d’autant plus flagrante avec l’acteur interprétant le personnage historique. S’il n’est pas assez ressemblant ou ne parvient pas à se faire oublier derrière les traits de son personnage, on le considérera comme raté. Si au contraire, il est entièrement fidèle et méconnaissable, il sera acclamé, à tel point que l’on oublie même la figure qu’il incarnait. La performance prend le pas sur la reproduction du réel. Le biopic ne peut ainsi jamais faire oublier que tout ce qu’il nous montre est faux.

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En ne cherchant pas à retranscrire la vie de son sujet, Daaaaaalí! se hisse parmi les meilleurs biopics de ces dernières années. Faire incarner Dali par plusieurs acteurs parvient à se débarrasser de cette tension: Dali devient omniscient, un concept dont les traits d’identité les plus saillants se projettent sur chacun. On ressort en retenant non pas la prestation d’un acteur, mais l’accent de Dali, ses moustaches, ses costumes extravagants.

Daaaaaalí! (2024) de Quentin Dupieux
Daaaaaalí! (2024) de Quentin Dupieux

Ainsi, Dupieux a très bien compris que l’intérêt d’un biopic sur Dali n’était pas la course à la vérité. Il laisse les tableaux du maître, les événements marquants, le contexte familial ou social au genre du documentaire. Avec la fiction, le personnage devient un monde. Le spectateur n’est plus là pour comprendre Dali, mais pour le vivre.

On pourrait regretter que le film ne soit pas plus provocant ou radical, mais le réalisateur se soucie de son spectateur et cherche à rendre Dali accessible au plus grand nombre. L’hommage parvient très bien à allier le désir de liberté dans la création et l’accessibilité au grand public. L’équilibre est trouvé, la formule fonctionne et trahit avec plaisir l’immensité du peintre en l’enfermant dans cette comédie de moins d’une heure trente.

Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com

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Quentin Dupieux
Daaaaaali!

Avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, et Edouard Baer
Février 2024
78 minutes

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