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Films

Critique

«Drone», le panoptique à l’ère d’OnlyFans5 minutes de lecture

par Jocelyn Daloz
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Simon Buisson, déjà primé pour sa série Stalk parlant de harcèlement en ligne, signe un long-métrage sur le même thème – tout en introduisant une réflexion plus large sur la société ultraconnectée où la sphère privée s’efface, jusqu’à disparaître.

Un critique de cinéma ou de littérature est sans cesse confronté à la même question: est-ce que ses interprétations d’une œuvre correspondent à l’intention de son auteur, ou est-ce qu’il perçoit autre chose que ce que ce dernier voulait transmettre?

Dans le cas du film Drone, la question est vite résolue: ce n’est pas un hasard si l’un des protagonistes évoque le concept du panoptique de Jérémy Bentham. Une telle référence, glissée au détour d’une scène mineure, est trop pointue pour ne pas être volontaire.

L’histoire suit Emilie (Marion Barbeau), jeune architecte qui participe à une formation prestigieuse pouvant aboutir à un emploi dans une des firmes d’architecte les plus réputées du pays. Le cours est donné par un ponte du métier, charismatique mais intransigeant. Sans le sou, la jeune femme vivote grâce à son activité de cam-girl érotique. Sa vie est alors chamboulée lorsqu’un drone apparaît subitement à sa fenêtre. Il la suit dans tous ses mouvements et l’observe à chaque instant.

Le contrôle social amplifié à l’infini

Lors d’une discussion, quelqu’un compare un projet de bâtiment au panoptique de Bentham – et dévoile ainsi la clé de lecture du film. En 1791, le philosophe utilitariste anglais théorise le concept d’une prison circulaire, au centre de laquelle se trouve une tour. Le surveillant peut voir à l’intérieur des cellules – celles-ci donnant vers l’intérieur – tandis que les détenus ne peuvent pas voir les gardiens. La crainte de pouvoir être surpris à n’importe quel moment dissuaderait les détenus de déroger aux règles. Pour Bentham, une telle prison représente un progrès, puisqu’elle se passe de répression physique et mise sur la dissuasion.

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Deux siècles plus tard, le penseur français Michel Foucault transforme ce concept en une vision presque dystopique de notre société, selon laquelle le panoptique s’appliquerait dans toutes nos institutions, des prisons aux hôpitaux en passant par les écoles (Surveiller et punir, 1975). Le panoptique devient ainsi synonyme du contrôle social et de l’autocensure inculquée à chaque individu.

Dans Drone, le réalisateur Simon Buisson rend visible ce fameux surveillant. Au début, cette présence paraît presque rassurante, mais elle se révèle vite oppressante. Le drone, c’est le contrôle global et d’ordinaire invisible, amplifié à l’infini par l’avènement d’internet. Impossible d’y échapper.

Les écrans tuent la sphère privée

Dans sa deuxième partie, le panoptique prend une autre dimension, puisque c’est du contrôle social exercé sur les femmes qu’il s’agit, soumises à ce que les féministes appellent le male gaz (soit le fait d’être sans cesse l’objet du regard des hommes). Le film se complaît presque volontairement dans cette perspective, jusqu’à l’émancipation d’Emilie.

Mise en abîme s’il en est, qui nous met, nous, spectateurs masculins de ce film, face à notre propre manière de voir un film où une femme s’expose à la caméra. Ne sommes-nous pas des voyeurs nous-mêmes? Nierons-nous une pointe de plaisir lors de ces scènes où Emilie se dénude, lorsque le drone capture une scène d’amour entre elle et son amante?

Le message semble aussi s’adresser à celles qui décident de vendre leur image: il n’y a pas d’émancipation à espérer via OnlyFans, puisque tout voyeurisme est aussi un vol, celui de son image, et, par là même, de sa propre identité. On croit pouvoir contrôler ce qu’on veut bien offrir ou vendre à ses clients de l’autre côté de la caméra, mais ce qu’ils prennent de vous, en vous, ne se contrôle pas. Le panoptique voit tout, et ne rend rien.

Ecrire à l’auteur: jocelyn.daloz@leregardlibre.com

Vous venez de lire une critique en libre accès, publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°111). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!

Simon Buisson
Drone

Avec Marion Barbeau, Cédric Kahn, Eugénie Derouand
Octobre 2024
110 minutes

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