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Films

Critique

Si j’étais un homme, je serais Marcello Mastroianni6 minutes de lecture

par Aude Robert-Tissot
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Le dernier film de Christophe Honoré réunit des acteurs qui jouent leur propre rôle. C’est drôle, poétique, intelligent et émouvant. Questionnant leur identité, Marcello Mio est universel: qui n’a jamais rêvé de se déguiser en un autre?

Se travestir en homme, ou plus précisément en son père défunt, Marcello Mastroianni, voici ce que décide de faire Chiara Mastroianni après avoir été pour une énième fois comparée à lui et à sa mère, Catherine Deneuve. On la prend pour une folle, on en rigole. Et pourtant, c’est la réalité du cinéma. Le film le dit dès son ouverture, avec une scène absurde absolument géniale, faisant directement référence à La Dolce Vita de Fellini.

Pour un shooting photo – qui tourne au désastre – on demande à Chiara Mastroianni de patauger dans une fontaine, perruque blonde et robe noire, déguisée en Anita Ekberg, qui n’est autre que la partenaire de Marcello Mastroianni dans ce film de 1960. Elle joue donc le rôle de l’amante de son père, et tout le monde trouve ça normal.

Io sono Marcello

Chiara Mastroianni ne semble pas vraiment comprendre pourquoi elle décide un jour de se déguiser en son père. C’est insidieux et finement amené par Christophe Honoré. C’est comme si c’était vital. Elle enfile le costume de son ami Benjamin Biolay, un chapeau, une perruque, des lunettes et le tour est joué! Les personnes qui ont connu son père reconnaissent tout de suite l’étrange ressemblance. Comme une actrice, elle l’imite, mais à sa façon.

Chiara souhaite qu’on l’appelle Marcello, parce que cela la rend heureuse, voilà tout. Grâce à cette incarnation, elle redevient une petite fille, se replonge dans ses souvenirs avec son père et sa mère. Cette dernière joue le jeu bien qu’elle semble inquiète. Catherine Deneuve comprend que ce n’est pas une simple mascarade, sa fille a besoin de son père.

Chiara Mastroianni parle alors en italien, fume beaucoup de cigarettes, se balade dans les rues de Paris la nuit, recueille un chien errant. Elle rencontre un homosexuel, un soldat anglais qui pleure sur un pont en attendant son bien-aimé, rappelant Nuits Blanches de Visconti dans lequel Marcello Mastroianni a joué. Elle finira par l’embrasser sur un toit de Paris. On ne sait pas si ce soldat sait qu’elle n’est pas réellement un homme, mais peu importe, car comme tout au long du film, Christophe Honoré place Chiara, déguisée en Marcello, comme un être unique et sans genre.

La verità

Heureusement pour Chiara Mastroianni, elle fait la rencontre providentielle de Fabrice Lucchini. Il a toujours voulu être l’ami de Marcello, il va donc être là pour elle comme il l’aurait été pour lui. Lucchini n’est jamais meilleur que lorsqu’il joue son propre rôle, quand il peut citer Nietzsche et être librement attendri par une femme. On ressent dans ses yeux son admiration tant pour Chiara que pour Marcello qu’elle incarne.

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Tout est troublant dans ce film, mais jamais grotesque ou irréel. Il est empli de vérité. D’une vérité qui touche les acteurs, lorsqu’ils doivent incarner quelqu’un d’autre pendant plusieurs mois. La vérité des enfants d’acteurs, sans arrêt comparés à leurs parents. La vérité de ce qu’une fille peut ressentir en l’absence de son père, aimé et admiré de tous. Il manque à tout le monde. Mais c’est elle qui décide de l’incarner et elle seule qui peut le faire, car c’est avant tout à elle, sa chair, que cette figure publique du cinéma appartient. Christophe Honoré replace l’acteur dans sa famille et donc dans son existence propre.

Le cinéaste ne fait pas revivre Marcello. A l’image de sa fille, ce film est un délicieux mélange de la France et de l’Italie des années 1960-70. C’est un peu long, parfois, mais c’est ravissant et plein de désinvolture. Ces acteurs ne se prennent pas réellement au sérieux, ils sont eux-mêmes et gorgés de légèreté, malgré la lourdeur apparente du thème.

Moi, si j’étais un homme

Et surtout, il y a la vérité d’un phantasme partagé par beaucoup d’entre nous: se déguiser en quelqu’un d’autre, le temps de quelques jours. Vivre l’anonymat. La tranquillité de l’esprit de ne pas être reconnu dans la rue en tant que Chiara Mastroianni, ou simplement en tant que femme. Passer inaperçue. Disparaître juste pour un temps. Sans frôler la crise de folie, mais purement se laisser aller, sortir de notre conception cartésienne du monde comme le dit Fabrice Lucchini. Faire semblant d’y croire, pourquoi pas, si cela peut faire du bien?

Jusqu’à ce que ça ne fasse plus de bien, justement. Catherine Deneuve finit par embrasser furtivement sa fille, la prenant pour son ancien amour. Une scène terriblement embarrassante, mais qui pousse le concept jusqu’au bout. Sa fille ne peut pas réellement incarner son père, puisqu’il est l’amant de sa mère. L’Œdipe les rattrape. Le moment est venu de revenir à sa vie, à son identité de fille et de femme.

Chiara Mastroianni se déshabille sur une plage d’Italie. Elle retrouve ses formes et sa nudité la ramène à sa condition. Elle nage au loin, suivie par ses proches. Cette scène est touchante, poétique et drôle à la fois, devant l’inanité de Catherine Deneuve se retrouvant toute habillée dans la mer. L’image se fige sur un magnifique sourire de Chiara, avec ses cheveux longs et mouillés. Elle renaît et semble enfin pleinement heureuse.

Ecrire à l’auteure: aude.robert-tissot@leregardlibre.com

Vous venez de lire une critique en libre accès, publiée dans notre édition papier (Le Regard Libre N°108). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus!

Christophe Honoré
Marcello Mio
Avec Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Fabrice Luchini
, Nicole Garcia, Benjamin Biolay, Melvil Poupaud et Hugh Skinner
Mai 2024
121 minutes

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