Article inédit – Ivan Garcia
Un documentaire riche en archives retrace la trajectoire de l’écrivain Francisco «Paco» Umbral. L’idée? Aller gratter sous le vernis de son image (construite) de dandy pour dévoiler l’homme. Avec ses splendeurs et ses misères. A voir, absolument.
Dans sa préface à son livre L’Antéchrist, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche revenait sur les difficultés que rencontrait son œuvre pour être comprise par ses contemporains. Ainsi, pour souligner qu’il était en avance sur son temps et ne serait probablement pas compris à cette époque mais bien plus tard, il écrivit: «Quelques-uns naissent posthumes». L’écrivain espagnol Francisco Umbral, lui-même victime d’un semblable destin, aurait sans doute partagé ce postulat nietzschéen. Avec plus de 110 ouvrages publiés et 135’000 articles de presse au compteur, il est l’un des écrivains espagnols contemporains les plus féconds. Mais, étrangement, hors d’Espagne (et encore), il s’agit d’un écrivain assez peu connu.
Après une grande carrière littéraire et lauréat de nombreux prix (Prix Nadal, Prix Cervantès…), l’auteur est décédé en 2007. Quant à son œuvre, celle-ci n’a pratiquement pas été traduite en français et les spécialistes hispanophones ne se bousculent pas au portillon… Mais, comme le dit le proverbe, «A quelque chose malheur est bon». En octobre dernier, lors de la soixante-cinquième édition du Festival international du film de Valladolid, a été projeté le documentaire Anatomía de un Dandy, réalisé par Charlie Arnaiz et Alberto Ortega. Actuellement diffusé dans les cinémas espagnols, ce long métrage revient sur la trajectoire de Francisco Umbral et donne la parole à des journalistes, à des experts de son œuvre, à ceux qui l’ont côtoyé et… à Umbral lui-même, pour déconstruire le mythe. C’est qu’Umbral s’est construit un personnage littéraire, c’était un dandy toujours élégamment vêtu et qui, dans les médias, laissait s’exprimer ses tendances narcissiques. Et puis, lors de son arrivée à Madrid, il a adopté une nouvelle identité en renonçant à son nom de naissance (Francisco Perez Martinez) et est devenu «Paco Umbral». En bref, Umbral était un étrange croisement entre Huysmans et Houellebecq qui a su séduire son public non seulement par son talent, mais également grâce à son image. Et c’est cette image que les intervenants du documentaire cherchent à déconstruire.
Une vie de dandy et des archives
Le long métrage est divisé en sept chapitres, chacun étant titré d’après une œuvre de l’écrivain. Par exemple, le premier chapitre est intitulé La noche qué llegué al Café Gijón (La nuit de mon arrivée au Café Gijón), racontant l’arrivée d’Umbral – à l’âge de 29 ans – à Madrid au mythique Café Gijón, véritable institution littéraire du Madrid des années 60. L’œuvre littéraire d’Umbral puise en effet sa source dans sa propre vie. De sa relation avec sa mère (El hijo de Greta Garbo/Le fils de Greta Garbo) à la perte de son fils adoré (Mortal y rosa/Mortel et rose), l’homme déclarait qu’«en racontant ma vie, je raconte celle des autres». Le titre du film est d’ailleurs directement inspiré de l’un des essais d’Umbral (Larra, anatomía de un dandy) sur l’une des figures fondamentales du romantisme espagnol: Mariano José de Larra.
Le point fort du documentaire réside dans son utilisation des différentes archives auxquelles les réalisateurs ont eu accès. En effet, grâce à María España, la veuve d’Umbral, ils ont pu disposer du domicile conjugal et ont récolté des archives inédites telles que des enregistrements, des photographies, ou encore des dessins qui viennent nourrir le long métrage. On trouve notamment des extraits audios ou visuels de l’entretien d’Umbral avec l’écrivain et journaliste Fernando Sánchez Dragó dans l’ancienne émission littéraire de la RTVE Negro sobre blanco. Quant à la narration du documentaire, celle-ci est assurée par l’actrice Aitana Sánchez-Gijón.
La chose la plus étonnante est la manière dont les archives dévoilent un autre Umbral. Par exemple, dans la troisième partie intitulée Mortal y rosa, où est évoquée la leucémie de son fils «Pincho» et son tragique décès, les archives ont permis de récupérer des dessins réalisés par Umbral et des fragments audios où ce dernier fait tout pour soulager la douleur de son fils. Avec ses dessins et ses talents de conteur, le père raconte une histoire à son fils mourant, celle d’un robot qui explore l’espace. Un moment touchant qui voit un changement physique audible: la voix du personnage public est remplacée par celle d’un père, bien différente de celle entendue dans les médias… En effet, la plupart de ses compatriotes le connaissent pour sa fameuse séquence-scandale dans une émission télévisée où il avait déclaré «Moi, je suis venu ici pour parler de mon livre» qui, selon certaines voix du documentaire telles que celle de la journaliste Rosa Montero, a causé beaucoup de tort à son œuvre…
Le chroniqueur, le lauréat et le voyou
Dans le long métrage, les différents intervenants tels que Pedro J. Ramírez, fondateur du journal espagnol El Mundo (et ancien patron d’Umbral), ou le chanteur de rock Ramoncín soulignent l’habileté du défunt écrivain pour saisir son époque dans ses textes. A ces voix plutôt élogieuses, d’autres avis plus critiques tels que celui de la professeure Bénédicte de Buron-Brun nous exposent la stratégie de «marketing littéraire» employée par Umbral pour s’inscrire dans cette lignée des écrivains dandys. Sa consécration? En 2000, il est lauréat du prestigieux Prix Cervantès (équivalent, pour un écrivain hispanophone, du Prix Nobel). C’est la revanche de cet autodidacte littéraire, fils d’une mère célibataire, face aux tenants de la «grande littérature».
En une heure et trente minutes, Anatomía de un Dandy permet d’entrer dans l’univers de l’auteur et ses multiples facettes, notamment celles de l’écrivain et du journaliste. A ce propos, saviez-vous qu’Umbral était surtout connu en tant que chroniqueur et que ses chroniques des années 70 étaient lues, quotidiennement, par 1 million de lecteurs? Ses courts textes de société, souvent corrosifs et implacables envers les personnes qu’il dénonçait (il faisait apparaître leurs noms en gras dans ses chroniques, les fameuses «negritas de Umbral») ont fait de lui le baromètre de la société espagnole des trois dernières décennies du XXe siècle. Certains lui attribuent même l’invention du terme movida… Le titre de sa première chronique, «Diario de un snob» (traduisez: «Journal d’un snob»), relève bien l’humeur du personnage qui se définissait comme «un voyou vêtu par Pierre Cardin». Alors, et maintenant, connaissez-vous vraiment Francisco «Paco» Umbral?
Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com
Crédits photos: © Anatomía de un Dandy