Article inédit – Erica Berazategui
Un vieux couple de bouchers contre de jeunes végans: Barbaque vous propose une bonne tranche de rigolade absurde et cynique, mais somme toute banale. Impressions.
Sophie (Marina Foïs) et Vincent (Fabrice Eboué), mariés depuis ce qui semble être une éternité, se morfondent dans une ville du fin fond de la France. Ils tiennent une boucherie à deux doigts de la faillite et pour couronner le tout, ils n’ont plus l’air de s’aimer. C’est ainsi que le décor de Barbaque (2021), réalisé par Fabrice Eboué, est posé. Un groupe de végans masqués débarquent alors un jour dans leur boutique pour saccager la boucherie en hurlant «V power». Au retour d’un dîner assommant chez un couple d’amis, les deux cinquantenaires tombent par hasard sur l’un des fameux végans: sous le coup de la colère et des émotions (Sophie venait d’annoncer à son mari qu’elle le quittait), Vincent lui roule dessus, le tuant sur le coup.
Ne sachant que faire du corps de l’herbivore, le boucher décide de le transformer en viande pour s’en débarrasser avec le reste des déchets de la boutique. Sophie n’étant pas au courant, elle vendra par mégarde quelques tranches de végan. Ce jambon, que Vincent justifiera comme étant du porc d’Iran, connaît alors un succès phénoménal dans toute la ville, y compris chez notre vieux couple qui est conquis par le goût apparemment exquis de l’humain. Conscients que cela pourrait sauver leur commerce, Vincent et Sophie décident de partir à la chasse au végan au fur et à mesure que la demande augmente.
Viande, véganisme et malaise vagal
Dès la première scène, un certain inconfort s’installe: on y voit de (très) gros et longs plans de découpage de viande. Et ce n’est que le début! Au fur et à mesure des battues, on regarde Sophie et Vincent découper du végan, tout en observant leur amour renaître. Le malaise s’intensifie lorsqu’on les observe sauver la boucherie tout en exterminant la population végane de la ville jusqu’à deux scènes particulièrement marquantes par leur violence. Au cours de la première, Vincent mord, mâche et avale l’oreille d’un ami du couple qui l’irrite, en toute simplicité. Lors de la seconde, Sophie se retrouve seule à l’arrière-boutique en compagnie d’une bande de végans qui souhaitent la transformer en viande jusqu’à ce que Vincent débarque et la sauve, tel un prince charmant. Pour ce faire, le couple va massacrer les trois jeunes personnes pour terminer en bain de sang. Face à cette escalade de violence, une réaction de la part du public: le rire. Un rire très sincère (sur le plan de l’expérience personnelle du moins) mais très souvent nerveux: toute cette chair, ce sang et cette cruauté mettent extrêmement mal à l’aise et finalement, étaient-ils nécessaires?
D’autres émotions nous traversent face à cette comédie. Au-delà du malaise profond, une forme de dégoût apparaît rapidement quand nous comprenons que la population entière de la ville se régale en mangeant de la chair humaine et qu’on observe Pépère, le chien de Vincent et Sophie, venir réclamer de l’humain et se délecter d’une oreille. Autrement désagréable, on ressent également un pointe d’angoisse lorsque le policier chargé de mener l’enquête à propos du saccage de la boucherie semble comprendre le lien entre la disparition soudaine de dizaines de végans et le succès phénoménal du porc d’Iran. Durant les 90 minutes de visionnage, l’incompréhension et le tiraillement entre empathie et indignation se manifestent aussi: Vincent et Sophie ont l’air si heureux finalement à travers ce commerce d’humains herbivores que ça en devient difficile de leur en vouloir.
Si Barbaque reste riche en émotion, ce film demeure toutefois très simple, si ce n’est trop: chacun des personnages représente une série de clichés, sans avoir de réelle personnalité. On s’attache brièvement à Vincent et Sophie à travers leurs mésaventures véganes tandis que la très grande majorité des autres personnages de premier plan sont absolument imbuvables et ne présentent aucun trait particulier. Quant à la musique, elle s’avère bien trop épique pour les situations représentées et en décalage avec les scènes, ce qui, au début, fait certes jaillir quelques pointes absurdes tout à fait agréables, mais qui sur la fin est de trop. En quittant la salle de cinéma, on se découvre un poil secoué, perplexe et peut-être avec une légère douleur à la mâchoire, due aux rires jaunes provoqués par cette comédie loufoque. Bien que Barbaque soit un film qui traite d’un sujet déjà-vu d’une manière qui ne prend pas trop la tête, il a tout de même le mérite de faire rire tout le monde. Vous prendrez bien une tranche de porc d’Iran?
Crédits photos: © Cinéfrance Studios